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Entretien: Lucas Belvaux - Chez Nous
Avec son dixième long métrage "Chez Nous", Lucas Belvaux a sans doute réalisé son film le plus politique et le plus engagé. C'est à Bruxelles que je l'ai rencontré pour en parler.
Quel sentiment avez-vous eu quand le Front National a réagi après que la bande-annonce de Chez Nous ait été dévoilée ?
J’ai été un peu surpris de la rapidité de la réaction. C’est-à-dire qu’ils ont réagi dans les quatre heures qui ont suivi la publication de la bande-annonce. De façon coordonnée, massive, assez violente. Sinon je m’y attendais, je pensais que ça arriverait plus tard. C’est comme si ils nous attendaient au tournant. Le film, ils savaient qu’on le tournait, ils le savaient depuis la préparation. Il y a eu un grand article dans La Voix du Nord, en fin de préparation. Ils n’ont rien dit pendant six mois et quand la bande-annonce a été dévoilée, ils ont dit oh tout de suite. Très lourdement.
Cela vous fait de la publicité.
. Oui et non. Oui, parce que le film passe d’une notoriété zéro à une notoriété internationale. Il y a eu des articles dans la presse jusqu’en Malaisie, jusqu’au Brésil, dans le monde entier. C’est la première fois que je faisais des interviews pour la télé japonaise. Oui, c’est pas mal.
En même temps, sur le territoire français, je pense que leur message s’adresse à leurs militants. C’est une façon de dire à leurs militants, 1, n’allez pas voir le film, 2, voilà ce que vous devez en penser. C’est un procédé autoritaire, dictatorial, totalitaire. Et c’est repris immédiatement par leurs militants sur les réseaux sociaux, en encore plus violent. C’est une espèce de lame de fond
Pourquoi ce film ?
Parce que ça m’inquiète. Ce n’est pas tellement la montée du Front National, c’est la dissémination des idées. On voit que, partout en Europe, ce n’est pas qu’en France, c’est ce qu’on a appelé la lepenisation des esprits où, tout à coup, l’étranger devient un ennemi, où le réfugié devient un ennemi. On va tabasser des pauvres gens qui vivent un exode. C’est comme les Belges qui partaient pendant la guerre, c’est comme si on les avaient tabassé quand ils arrivaient en France. C’est épouvantable quand on y pense. Donc ça m’est insupportable de rester sans rien dire que je vois ça. Ce que je trouve encore plus insupportable, c’est qu’une majorité de Français pensent que le FN n’est plus un parti d’extrême-droite. Le FN reste le parti des nazis, des racistes, des facistes, des antisémites, un parti d’une violence extrême dans ses propos et qui provoque une violence extrême dans les actes. Comment peut-on accepter cela ? Notre société actuelle s’est construite sur la sociale-démocratie qui nous évite les guerres depuis soixante ans, qui nous évite les plus grandes souffrances. Je ne dis pas qu’il n’y a pas de souffrances. On est dans une crise qui dure. Certains disent que ce n’est même plus une crise puisqu’elle s’est installée sur une telle longueur, c’est un changement de société profond. Mais on est encore relativement protégé.
Vous avez, à nouveau, choisi Emilie Dequenne, pouvez-vous nous en dire plus ?
Quelque part, je n’ai pas choisi, elle s’est imposée. Puisque l’idée m’est venue pendant le film précédent. C’est un peu une déclinaison du personnage de Pas son genre. Quand j’ai commencé à écrire, je pensais déjà à Emilie. Nous tournions à Arras, préfecture du Pas-de-Calais, pendant une campagne électorale. Le Front National était à 30, 40 % dans les sondages. Un jour, je me suis dit que mon personnage, une coiffeuse, sociologiquement, avait le profil d’une électrice du Front National. Son histoire d’amour avec un bobo qui se termine mal, ça peut la radicaliser un peu plus.
Son personnage dans Chez Nous est paradoxal, c’est un peu la banalité du mal.
Le fait qu’elle soit infirmière à domicile, c’était important ?
Une infirmière à domicile, ça raconte quelque chose. Cela permet de visiter des milieux sociaux différents, des gens différents avec des histoires différentes. Cela raconte quelque chose de sa générosité, c’est une vocation, infirmière. C’est une profession qui est en première ligne de la souffrance humaine, à la fois, physique et sociale.
L’actualité a rattrapé votre film avec les problèmes que connaît Marine Le Pen, le Front National est donc le même que les autres partis.
C’est le même, en pire. Il y a eu une étude, qui a été faite entre 1998 et 2012, qui a montré que le Front National a le plus d’élus condamnés par la justice. Ils sont à 13,5 % ce qui est énorme. Pour tout, il y a des violences conjugales, apologie de crimes de guerre, incitation à la haine raciale, … Alors que le RPR (NDLA : actuellement, Les Républicains) en avait 3,5 % et le PS 2,5 %, cela fait quand même une grosse différence. Pour un parti qui se dit propre, cela la fout un peu mal. Un autre chiffre intéressant, sur les 1500 élus aux dernières municipales, dans les deux ans, 400 ont démissionné. Les gens rentrent dans ce parti, se font élire, après un, deux ans, se rendent compte que c’est un parti autoritaire, totalitaire, raciste, antisémite, … Ils ne le supportent plus et ils s’en vont. Ils se rendent compte qu’ils ont été victimes d’une manipulation.
Il y a une concordance entre votre film et "Angle mort" de Nabil Ben Yadir, qu'en pensez-vous ?
L’extrême-droite, les populismes montent partout en Europe. On a envie d’en parler, de mettre en garde, on doit sonner le tocsin.
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Tags : Lucas Belvaux, Chez Nous, Emilie Dequenne, Politique, Front National, Marine Le Pen