• Entretien: Laurent Boileau - Couleur de peau: miel

    Laurent Boileau est le co-réalisateur de "Couleur de peau: miel". Qui est-il ? Pendant dix ans, il a travaillé comme chef opérateur puis comme chef monteur sur de nombreux documentaires (France 2, France 3, France 5, Canal +, Planète). En 1999, il est passé à la réalisation. Il a participé à la série "L'éducation en questions", diffusée sur France 5. En 2002 et 2003, il a réalisé "Un collège pas comme les autres" pour Planète future sur un collège innovant à Lyon. Passionné par la bande dessinée et les arts graphiques, il a plusieurs films à son actif sur le 9ème Art notamment "Spirou, une renaissance", "Franquin, Gaston et compagnie", "Sokal, l'art du beau". En parallèle à son métier de réalisateur, il a été chroniqueur sur le site actuabd.com et animé le site BD de France Télévisions.
    Je l'ai rencontré lors de son passage à Bruxelles.

    Comment fait-on pour adapter une BD au cinéma ?

    L'adaptation d'une bande dessinée au cinéma demande à se pencher sur tous les codes narratifs. C'est peut-être enfoncer une porte ouverte mais les codes narratifs d'une bande dessinée sont assez différents de ceux d'un film. Je vais vous donner deux, trois exemples. En BD, on a une totale liberté du temps de lecture. Au cinéma, en tant que réalisateur, vous avez une maîtrise totale du temps que vous imposez à votre spectateur. Autre différence, vous avez le son tout simplement. Au cinéma, vous allez avoir des voix, de la musique, des bruitages. Comme ça, vous avez forcément une approche narrative qui ne peut être que différente quand on passe d'un média à un autre. Le travail d'adaptation demande à reprendre le fond même de l'histoire. Pour en faire autre chose, un autre objet. Ce n'est pas simplement un transfert technique.

    Laurent Boileau

    C'est une autre histoire alors ?

    C'est la même histoire mais elle est autre. Dans le cas de "Couleur de peau: miel", c'est encore plus une autre histoire. Il y avait une volonté au départ de ne pas adapter simplement la bande dessinée telle qu'elle était conçue. C'est-à-dire raconter l'enfance de Jung de cinq ans à dix-sept, dix-huit ans. Il y avait aussi une volonté de raconter une dimension contemporaine, de l'homme et ça, ce n'est pas dans la bande dessinée. Dès le départ, on n'est pas dans une simple adaptation mais dans un autre récit.

    Dans le film, il y a plusieurs techniques. Comment l'idée est-elle venue de les utiliser ?

    J'ai vu Jung plusieurs fois pendant six mois. Au cours des discussions, j'ai eu le sentiment que, en tant qu'adulte, il avait des choses à raconter. Qu'il ne racontait pas dans sa bande dessinée. Cela m'a donné envie d'aborder cette dimension contemporaine du récit. Il y avait la perspective du voyage en Corée, de ce premier retour quarante ans après. Cela m'intéressait particulièrement. Et puis m'est apparu assez rapidement cette image de faire cohabiter ce Jung adulte, en réel, et ce petit enfant en dessin animé. Donc le côté hybride du film est né de cette volonté de faire cohabiter ces deux personnages dans la même image. Ensuite les autres techniques narratives sont venues naturellement, au fur et à mesure du récit. Après, l'enjeu a été de lier ces six types de médias pour que cela soit harmonieux.

    Pourquoi vous êtes-vous intéressé à l'histoire de Jung ?

    Ce n'était pas l'histoire en tant que telle de Jung que je trouvais extraordinaire. Finalement, on peut considérer que c'est une histoire assez banale d'un enfant adopté. Ce qu'il a vécu n'a rien d'exceptionnel. Si vous rencontrez d'autres enfants adoptés, ils vous raconteront un parcours relativement similaire au sien. Par contre, la bande dessinée m'avait déjà montré que, dans la façon de raconter son histoire, cela avait un pouvoir d'évocation. Donc je me suis dit que cela pouvait nous renvoyer à nos propres histoires, à nos propres sentiments. C'est ce côté de l'histoire personnelle de Jung que l'on pouvait rendre la plus universelle possible qui, moi, m'intéressait. Pour en faire une sorte de récit miroir où chacun pouvait projeter ses propres émotions, son propre vécu.

    Vous venez du documentaire, c'est votre premier long métrage, était-ce une volonté d'aller vers la fiction ?

    Non, je ne suis pas un réalisateur de documentaires frustré de cinéma. Je ne travaille pas depuis vingt ans dans le documentaire parce que le cinéma ne m'appelle pas. Le documentaire m'intéresse, le réel m'intéresse.
    Le documentaire a ses contraintes, celle de répondre à la ligne éditoriale d'une chaîne. L'histoire de Jung ne se prêtait pas très bien à être traitée dans une ligne éditoriale. Le cinéma nous est apparu, avec Jung puis avec le producteur, comme une piste potentielle d'expression. Un espace créatif, de liberté. Nous nous sommes engouffrés dans cette voie avec l'enthousiasme de ceux qui croient en leur histoire.


    Avez-vous des projets en cours ?

    Non. Il y a bien quelques sujets qui me tiennent à coeur depuis longtemps. Mais là, c'est un peu trop tôt. Je sors d'une aventure de trois ans. J'ai été deux ans sur les routes, il y avait dix lieux de production, j'ai passé plus de cinq cents nuits à l'hôtel, j'ai parcouru plus de cent trente mille kilomètres en train, j'ai fait quatre voyages en Corée. Donc maintenant, je pose mes valises. Mais quand on est créateur, il y a toujours des idées qui peuvent jaillir.

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