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Entretien: Jung - Couleur de peau: miel
Par Michel Decoux-Derycke - Le film d'animation documentaire "Couleur de peau: miel" est adapté du roman graphique "Couleur de peau: miel" de Jung. Ce dernier est né en 1965 à Séoul en Corée du Sud et a été adopté en 1971 par une famille belge de Rixensart. Le roman graphique et le film parlent de son histoire personnelle: l’orphelinat, l’arrivée en Belgique, la vie de famille, l’adolescence difficile... "Couleur de peau: miel" raconte les évènements qui l'ont conduit à accepter ses mixités. Il était donc intéressant de rencontrer Jung et c'est ce que j'ai fait.
Comment vit-on l'adaptation de sa BD au cinéma ?
C'est un prolongement, le film, je le vois comme un prolongement du travail que j'ai fait sur ma bande dessinée. Celle-ci abordait déjà les mêmes thématiques. Les outils ont changé. Je ne dessine plus, je n'utilise plus du papier. Je suis passé des images fixes associées à des textes au film. On est là sur un médium très différent.
Quand vous avez créé la BD, pensiez-vous au cinéma ?
Non. De toute façon, on ne s'attend pas à ce qu'un producteur vous propose de faire une adaptation de votre bande dessinée. Après, il y a toujours ce fantasme d'être adapté. C'est, sans doute, le cas de la plupart des auteurs de bande dessinée. Moi, ce qui m'intéresse, c'est raconter des histoires que ce soit en bande dessinée ou au cinéma. Si j'étais doué pour l'écriture, ce serait sous la forme d'un roman. Si je pouvais faire de la musique, je ferais de la musique. D'abord, c'est né de l'envie de raconter quelque chose. Quelque chose qui est en moi et qui a besoin de s'extérioriser. Pourquoi la bande dessinée dans un premier temps ? C'est qu'il suffit d'une feuille et d'un crayon. C'est vraiment né de l'envie de raconter des histoires.C'était important de raconter votre histoire, ce que vous avez vécu ?
Tout d'abord, c'était aborder des thématiques à travers les histoires que je racontais. Souvent en mettant le filtre de la fiction. Tout cela en lien avec mon histoire personnelle. Mais au début quand j'ai appris à dessiner, quand j'ai travaillé chez Spirou ou aux Editions Delcourt, ce n'était pas autobiographique. Mais j'abordais déjà les thèmes qui m'intéressaient: la quête identitaire, le déracinement, la quête de la mère, etc...
Après dix-sept ans à faire des albums de bande dessinée autour de ces thématiques, on se pose des questions. On se dit pourquoi ? J'ai fait le constat que j'avais envie de me raconter. Puis un jour, j'ai décidé de changer de format, de passer de l'album de quarante-six pages à l'album de cent quarante pages. J'aimais bien les romans graphiques. Le travail en noir et blanc. Je me suis dit que j'allais arrêter de jouer à cache-cache avec moi-même et de raconter ma propre histoire.
Comment est venue l'idée du film ?
Au départ, l'idée était de faire un documentaire. Le co-réalisateur, Laurent Boileau, voulait savoir si j'étais déjà retourné en Corée. Dans la bande dessinée, dans le tome 1, le narrateur que je suis promet à l'enfant que j'ai été que je retournerais là-bas. Et à Laurent Boileau, j'ai répondu que non, je n'étais pas encore retourné dans mon pays d'origine. Il m'a demandé si j'étais prêt à y aller, avec lui. Mais c'était dans le cadre d'un documentaire pour la télé. Chemin faisant, l'idée a évolué. C'est devenu un projet de long métrage pour le cinéma.
Pourquoi n'êtes-vous pas retourné en Corée plus tôt ?
Tout simplement parce que je tournais autour du pot. Il faut dire les choses comme elles sont. J'ai une certaine appréhension d'y retourner après autant d'années. Pendant très longtemps, j'ai rejeté mon pays d'origine. Je ne comprenais pas, quand j'étais petit, pourquoi la Corée envoyait autant d'enfants à l'étranger. Il faut savoir que c'était vraiment particulier et à l'époque, une adoption sur trois était sud-coréenne. Pour moi, ce n'était pas normal. Je me suis vraiment révolté et je ne voulais plus entendre parler de mon pays d'origine.
Dans le film, il y le rapport aux deux mères: la biologique et l'adoptive. Comment vit-on cela ?
Un enfant est toujours à la recherche de l'amour maternel quel qu'il soit. Moi, ce n'était pas ma mère biologique puisque je ne l'ai jamais vue. C'était donc ma mère adoptive. Elle était sévère comme beaucoup de parents de l'époque. C'est une question de génération. Il y avait des punitions corporelles, etc... Maintenant, c'est mal vu et heureusement d'ailleurs. Oui, elle était sévère, elle était dure mais elle était égale avec tous les enfants.
Si vous deviez donner envie au spectateur d'aller voir le film, que diriez-vous ?
C'est un film qui parle de l'abandon, de l'auto-destruction, de l'adoption. Mais ce film parle encore plus de la quête de l'identité, de la reconstruction de soi, de l'acceptation de soi. Par les thématiques abordées, il est fort chargé en émotions.
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