• Entretien: Philippe Claudel - Une enfance

    Par Michel Decoux-Derycke - Philippe Claudel est un romancier et cinéaste français. Comme écrivain, il a remporté le Prix Renaudot pour Les Ames grises, c'était en 2003. Il est membre de l'Académie Goncourt, Comme cinéaste, il a réalisé quatre longs métrages dont Une enfance.
    C'est à Bruxelles que je l'ai rencontré. Entretien avec un homme qui, malgré la célébrité, vit toujours dans la ville de son enfance.

    D'où vient l'idée du film ?

    C'est une idée qui a différentes sources. L'une, c'était de m'intéresser à l'enfance. J'en avais envie depuis des années. A la fois comme homme et comme enseignant, je l'ai été longtemps, j'exerce encore un peu. Il y avait le désir de comprendre comment l'enfance nous constitue. Comment elle va être essentielle dans ce que nous allons être ensuite.
    Ensuite, c'était le désir de filmer ma ville (NDLA: Dombasle-sur-Meurthe). La ville où je suis né, où j'habite encore. Une petite industrielle qui me ressemble, à laquelle je ressemble. J'avais envie de poser ma caméra sur ce mélange très singulier, dans son paysage, d'éléments industriels et d'éléments naturels. Parce que la campagne est tout le temps présente au sein d'usines et d'entrepôts.
    Enfin, c'était d'être dans un cinéma du réel. En tout cas, qui se rapprochait du réel. Ne pas travailler sur l'effet magique du cinéma avec un casting prestigieux, avec une sorte d'opulence dans la mise en scène. Au contraire, d'être dans la palpitation de la vie, dans l'enregistrement de la vie avec tout ce que ça suppose de légèreté technique.

    J'ai adoré votre scène d'ouverture où des gamins jouent au foot avec des t-shirts de couleurs vives et pas avec des maillots de clubs célèbres, c'était voulu ?

    Oui, c'était voulu. Dans tout le film et c'est paradoxal parce que je voulais travailler sur le réel, il y a beaucoup de côtés irréalistes. Notamment, vous le dites pour les maillots de foot, on peut le dire pour tous les vêtements. Les enfants, y compris dans les milieux défavorisés, sont obsédés par les marques. Les gamins vont avoir des chaussures de marque, un slip de marque, un pantalon de marque, etc ... Moi, je voulais effacer ça, de façon à ne pas trop implanter le film dans une époque.

    Philippe Claudel

    Comment avez-vous travaillé pour les décors ?

    Déjà, ce que je filme, je le connais bien, je vis là. Je connais les lieux, les rues, les maisons. La barre de cité ouvrière que vous voyez doit être démolie. Je l'apprends six mois avant mon tournage. Je me dis merde, je veux faire mon film et elle doit disparaître. Donc j'obtiens, avec ma productrice, que la démolition soit faite après le tournage. On arrive à sauver le décor pour notre film. Ce qui était un inconvénient devient un avantage, on est tout seul dans la barre, c'est comme un décor de studio. Pour la ville elle-même, les décors sont vraiment très proches, dans un cercle de cinq cents mètres de rayon. Presque tout le temps disponible, avec la gentillesse des habitants et de la municipalité, un coup de fil suffisait pour pouvoir tourner. Cela a été un tournage très, très souple.

    Le casting ?

    Il y avait la volonté de travailler avec des visages neufs. Pour que le spectateur ait l'impression de pouvoir les croiser dans la rue, qu'il ait l'impression que ça puisse être son voisin. Il y a des comédiens mais qui sont méconnaissables. Je pense notamment à Pierre Deladonchamps qui joue le beau-père. Il y a aussi Angelica Sarre, une jeune comédienne, qui joue pour la première fois au cinéma. Beaucoup de non-professionnels recrutés, après casting, dans ma ville. Les deux enfants, que je voulais absolument trouver en Lorraine pour des questions de vérité et de proximité, ont été trouvés par un casting classique. Des fiches qui m'arrivent, des essais.

    Cette famille de bric et broc, elle existe plus qu'on ne le croit.

    Bien évidemment que ça existe. J'ai même allégé la réalité. Alors, ce ne sont que des choses vues autour de moi. Il n'y a pas plus de problèmes dans cette ville qu'ailleurs, elle est à l'image d'autres villes, il y a une partie de la jeunesse un peu paumée. Ces jeunes trentenaires, un peu à la dérive, ont envie de prolonger leur adolescence. Qui sont mal dans leur peau, aigris, qui préfèrent un peu picoler, un peu fumer. Qui ont l'impression qu'ils valent mieux que ce que le monde leur donne. Et qui sont dans une forme de rejet et de violence parfois. Des Jimmy (NDLA : le jeune héros du film), j'en connais beaucoup. Qui ont cette existence, pas forcément des gamins hyper maltraités, mais qui sont dans un noeud affectif et relationnel difficile.

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