• Entretien: Patrice Leconte - Le Magasin des suicides

    Depuis pratiquement cinquante ans, Patrice Leconte réalise, cadre, scénarise, écrit des livres et des pièces de théâtre, joue à l'acteur, est chroniqueur à la radio, juré dans une émission de télé. C'est un homme multiple et prolifique.
    J'ai eu le bonheur de le rencontrer puisque c'est l'un de mes réalisateurs préférés, c'était, à Namur, pendant le FIFF.

    Pourquoi avoir adapté le livre de Jean Teulé ?

    Je connais bien Jean Teulé. J'aime beaucoup ses livres, son univers, sa tournure d'esprit. "Le Magasin des suicides", je l'avais lu et je l'avais aimé. Je ne pensais pas que c'était adaptable. Un jour, un jeune producteur, ayant acheté les droits du bouquin, est venu me trouver. Je lui ai dit qu'on ne pouvait pas adapter ça. Il m'a rétorqué que c'était pour en faire un film d'animation. Cela a été comme un court-circuit positif. Le ciel s'est éclairé. C'était une bonne idée. Une idée brillante même.

    Patrice Leconte - Le Magasin des suicides

    Vous avez changé la fin, pourquoi ?

    Il était hors de question que je fasse la même fin que Jean Teulé. Parce que sa fin est très pessimiste, très noire. C'est très curieux, Jean est un grand gaillard, très rieur, très lumineux, très disert, très bavard. Pas du tout noir. Quand il écrit, il y a des noirceurs insensées. Il doit y avoir des zones d'ombres n'appartenant qu'à lui.
    Je refuse de laisser les spectateurs qui voient mes films sur une impression noire ou sombre. Moi, ça me plaît d'entraîner les spectateurs vers le haut. Un peu pour leur montrer que la vie est pas mal. Pour leur communiquer des sentiments positifs. Malgré la crise dont on nous rebat les oreilles, malgré le mal de vivre de bon nombre d'habitants de cette planète. Je sais tout ça. Justement, ce n'est pas la peine d'en rajouter. Je préfère l'espoir au désespoir et je crois que nous sommes nombreux à partager ça.

    Pour vous, c'est une sorte de retour vers la BD ?

    Je me suis retrouvé dans un élément me convenant. Comme un poisson dans l'eau. C'est-à-dire que, pendant toute l'élaboration de ce film, je ne suis jamais senti étranger au travail qu'on faisait. J'ai fait de la BD, j'ai vu beaucoup de films d'animation. Je savais de quoi je parlais. D'ailleurs, avec l'équipe d'animation, les directeurs artistiques, nous nous sommes tout de suite bien entendus. Nous étions du même monde.

    Ne vous a-t-on pas demandé de changer le titre ?

    Personne ne m'a jamais demandé de changer le titre. Pour moi, cela aurait été une absurdité totale. Le bouquin de Teulé est très connu. Cela aurait été navrant et risqué de changer le titre. Imaginez que l'on appelle ce film: "La vie est belle", cela aurait été suspect. Les gens n'auraient pas su que c'était adapté du bouquin de Teulé. Je n'aime pas beaucoup cette idée de changer. D'autant plus que c'est un bon titre. Au moins, il annonce la couleur.

    Avez-vous toujours envie d'arrêter le cinéma ?

    Vous me parlez du bouquin "J'arrête le cinéma", j'ai aimé le faire. Le mec qui a fait les entretiens a su m'emmener là où il fallait. J'aime bien ce qui ressort de ce bouquin. Et puis, il y avait le plaisir du titre. Au moins, ça permettait aux journalistes de me dire: alors, vous arrêtez le cinéma ? Cela leur faisait une première question.

    Vous considérez-vous toujours comme un imposteur ?

    A l'époque, quand j'avais fait ce livre (NDLA: "Je suis un imposteur") racontant mes souvenirs, mes rencontres, je remarquais une chose: un film réussi tient du miracle. Forcément, quand vous prétendez tout contrôler, il y a une part des choses qui vous échappent. Les peintres, les romanciers pourraient vous dire pareil. On ne contrôle pas tout. C'est là qu'est l'imposture. On vous bénit, on vous glorifie, on vous récompense. Vous n'êtes pas seul, le chef opérateur, le musicien, la monteuse doivent avoir du talent. Il faut être entouré de gens qui ont du talent pour en avoir un peu soi-même. J'aimerais que, pour les films qui ont du succès, qui sont aimés, ce soit partagé avec tous ceux qui les ont fait. Partager ce bonheur-là. Aussi bien avec les acteurs que les techniciens. Il y a quelque chose de collectif. Par exemple, un romancier est seul en prise directe avec son histoire, ses mots et le lecteur qui va la lire un jour. Là, il n'y a pas d'imposture.

    Plusieurs de vos films restent dans la mémoire collective, comment vivez-vous cela ?

    C'est agréable de savoir que l'on laisse quelque chose derrière soi. Ce n'est pas pour avoir une oeuvre qui me survivra, je n'ai pas cette prétention. Si jamais je peux imaginer que, dans quarante ans, mes films ne soient pas tous tombés aux oubliettes, c'est satisfaisant. Satisfaisant de penser que des films auront une existence longue. Au départ, je fais mes films pour qu'ils rencontrent un public. Je ne peux pas travailler pour zéro spectateur, cela ne m'intéresse pas. Ce qui me plaît, c'est de partager avec une salle pleine si possible et que les gens sortent contents. Donc si on vient me dire: j'ai adoré ce film, Monsieur Leconte, cela me fait vachement plaisir. Pourquoi ? Parce que j'avais raison de choisir ce métier, je ne me suis pas tout le temps trompé. J'envie les escargots qui laissent une trace derrière eux.

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