• Entretien: Christian Vincent - Les Saveurs du Palais

    Par Michel Decoux-Derycke - En 1990, avec son premier long métrage "La Discrète", Christian Vincent avait frappé les esprits. D'une part, en enrôlant Fabrice Luchini, d'autre part, en remportant le César de la meilleure première oeuvre et du meilleur scénario original ou adaptation ainsi que le Prix de la semaine de la critique à la Mostra de Venise. Par après, Christian Vincent va continuer sa route avec des films au casting intéressant. Sous ses ordres, on retrouve notamment Isabelle Carré, Isabelle Huppert, Daniel Auteuil, Karin Viard, Roschdy Zem, Gérard Lanvin, José Garcia, François Cluzet.
    Cela faisait un septennat que Christian Vincent n'avait plus réalisé de film, "Les Saveurs du Palais" a été présenté au FIFF et c'est, à cette occasion, que j'ai rencontré un réalisateur plutôt rieur et disert.

    D'où vient l'idée du film ?

    C'est mon producteur qui me l'a apportée. Il a eu la bonne idée de lire "Le Monde" le jour où Raphaëlle Bacqué faisait un portrait de Danièle Delpeuch. Cette femme a travaillé pendant deux ans au service privé de François Mitterrand.
    Ce n'est pas rien de faire à manger à quelqu'un. Au Président de la République, c'est une énorme responsabilité. En général, on nourrit ceux qu'on aime. Moi, quand je fais la cuisine, c'est pour mes enfants, ma compagne, mes amis. C'est un acte qui touche à l'intime. Le nourrisson, il tête le sein de sa mère, ce doit être un grand bonheur. C'est un plaisir qu'on partage avec les amis, parfois avec des inconnus.

    Christian Vincent

     Après, comment avez-vous travaillé ?

    La cuisine, c'est un milieu qui m'est familier. Quand j'avais treize, quatorze ans, j'ai failli faire l'école hôtelière. Je ne l'ai pas fait. Deux ou trois ans plus tard, j'ai failli faire une école de photographie. Je ne l'ai pas fait non plus. Après le bac, j'ai fait des études de sociologie, figurez-vous. Parce que je n'arrivais pas à comprendre comment la société pouvait tenir toute seule. Comment les gens font pour supporter la vie qu'on leur impose. En faisant la sociologie, je pensais pouvoir répondre à ces questions. En fait, j'ai jamais vraiment su répondre. Et puis, j'ai entendu parler d'une école de cinéma qui s'appelait l'IDHEC. Autour de moi, tout le monde me disait: "tu n'as aucune chance, on rentre au piston." J'ai réussi à y entrer.
    Mais j'aurais pu être cuisinier. Dès mon plus jeune âge, j'aimais faire à manger. Moi, au lycée, j'habitais la banlieue parisienne, je faisais à manger à mes potes. Avec des amis, quand on avait vingt ans, on se faisait des bouffes. On n'avait pas beaucoup d'argent. On buvait de grands vins. Ces grands vins, je ne vous dis pas comment on se les procurait. Bon, il y a prescription. Ce n'est pas parce qu'on est pauvre qu'on n'a pas le droit de boire de grands vins.
    J'aime les cuisiniers. Je trouve qu'ils font un métier difficile. C'est fatigant. L'été, on a très chaud dans les cuisines. C'est un métier où on se sacrifie, beaucoup. Pour le bonheur, pour le plaisir des autres. J'ai beaucoup de respect pour eux. Avec mon film, c'est une manière de leur rendre hommage.

    Pourquoi avoir choisi Catherine Frot pour le rôle principal ?

    D'abord parce que c'est une bonne actrice. Elle avait l'âge du rôle. Puis, elle ne fait pas du tout parisienne. Elle a une certaine gouaille, un bon sens populaire. J'ai toujours vu le personnage comme une Madame Sans-Gêne. Elle débarque dans un milieu qui n'est pas le sien et elle ne change pas sa nature. Elle est en décalage par rapport au milieu, très compassé, feutré. Il n'y avait pas d'autre actrice pouvant incarner Hortense Laborie.

    Et Jean d'Ormesson qui joue le Président ?

    Le Président, on le voit assez peu. Il est là, omniprésent mais presque hors-champ. Il n'apparaît qu'à cinq reprises dans le film. Je voulais qu'il se passe quelque chose quand on le voit pour la première fois, un choc. Tout au début, je me suis dit: je ne vais pas demander ça à un comédien, il n'y aura pas de surprise. Je vais demander à quelqu'un qui n'a jamais fait de cinéma. J'ai pensé à des grands intellectuels, à des grands avocats. Je suis même allé voir Jacques Vergès au théâtre. Parce que j'avais vu le documentaire fait sur lui et il était fascinant. Je ne suis pas allé plus loin, au théâtre, il était épouvantable. Entre être fascinant à l'écran quand on joue sa propre existence et puis incarner un personnage, ce n'est pas la même chose.
    J'ai laissé tomber cette idée, j'ai approché un acteur. Que j'ai rencontré, à qui j'ai proposé le rôle. Heureusement, trois jours avant le tournage, il a renoncé au projet. Donc je suis revenu à ma première idée. On a demandé à Jean d'Ormesson si il voulait bien jouer le Président. Il a accepté tout de suite. Le cinéma, il en rêvait. Il a dû attendre d'avoir quatre-vingt six ans pour qu'on lui propose un rôle !

    Lire aussi la critique du film Les Saveurs du Palais 

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