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Entretien: Leyla Bouzid - A peine j'ouvre les yeux
Leyla Bouzid est une réalisatrice et scénariste tunisienne. Entre 2006 et 2013, elle réalise ou co-réalise des courts métrages, elle est aussi co-scénariste. En 2012, elle est actrice dans le long métrage "Mammoutesh". La même année, elle est renfort à la mise en scène sur "La Vie d'Adèle: Chapitres 1 et 2". C'est donc avec un sacré bagage que Leyla Bouzid a entamé la réalisation de son premier long métrage: "A peine j'ouvre les yeux".
Je l'ai rencontré au dernier FIFF, à Namur, où son film a remporté le Bayard d'Or de la meilleure première oeuvre de fiction. Entretien avec une femme convaincue.Pourquoi ce film ?
Il a été inspiré par plusieurs choses différentes. Une des principales raisons est que, lors de la Révolution en Tunisie, c'était en janvier 2011, énormément de personnes sont sorties dans la rue. Elles ont commencé à filmer les manifestations, ce qui se passait. Il y avait beaucoup d'enthousiasme. Beaucoup de documentaires ont été tournés. Moi, ma première réaction, cela a été : «enfin, on va revenir sur les années Ben Ali. On va pouvoir parler de cette peur au ventre qu'on avait. Cette paranoïa, cette croyance de la présence constante de policiers». Pour moi, il me semblait hyper important de revenir sur cette période-là. Le film est parti de là.
Vraiment l'été 2010, je me souvenais d'énergies particulières. Je sentais une chape de plomb sans savoir comment ça allait finir, aussi plein d'initiatives de jeunes étouffées dans l'oeuf. Par ailleurs, j'avais fait un court métrage sur le rapport mère-fille où je suivais la mère et j'avais envie de refaire un film sur ce rapport mais en suivant la fille.
Etiez-vous active pendant la Révolution ?Moi, je n'étais pas politisée dans un sens plus qu'un autre. Ce qui est drôle, c'est que j'ai fait un court métrage, celui dont je viens de parler, présenté ici à Namur. Qui a été tourné pile à l'époque où se passe mon long métrage. Voilà, je faisais des courts racontant des histoires qui parlent de l'intime, qui parlent aussi du pays. J'étais à Paris le jour où Ben Ali est parti, j'étais en communication avec mes parents qui étaient à la manifestation, je les avais poussé a y aller. Je suivais ça par Facebook. J'ai été surtout active sur Internet.
En fait, c'est la particularité des révolutions arabes: Facebook, Internet.
Jusqu'à aujourd'hui, Facebook a une énorme importance en Tunisie. C'est vraiment un outil de communication. Il y a une lacune sur la presse télévisée, sur les informations. On a toujours eu l'habitude d'avoir des mensonges, quand il se passe des choses, toutes les versions officielles sont fausses. On a eu la chance que l'outil Facebook n'a pas tout de suite été défini par les autorités comme un outil dangereux. Personne ne savait que cela pouvait avoir un potentiel comme ça. Facebook a eu directement une fonction politique très forte. Cela a fait qu'on ne pouvait pas l'arrêter.
Pourquoi le choix de chansons et de musique ?
Tout a été créé pour le film. C'était un énorme défi. D'ailleurs, quand on est passé en préparation, je me suis dit: «qu'est-ce qui m'a pris d'écrire ça, comment je vais mettre en place tout cela ?» La musique est un vecteur énorme, on ne peut pas contrôler une chanson, c'est un pouvoir incroyable. Je voulais faire un film sur des jeunes qui s'activent, qui font quelque chose d'assez innocent et qui se retrouvent quand même opprimés. En fait, la musique était quelque chose d'assez évident pour retranscrire leur énergie, leur jeunesse.
Comment avez-vous choisi Baya ?
Cela a été un très, très long casting. Parce que c'était un rôle très difficile, elle joue et elle chante plus le fait qu'elle soit jeune. Baya a vraiment bataillé pour avoir le rôle. Elle avait une adhésion totale au scénario. Elle ressemble énormément à Farah dans la vie. Il y avait tous ces élements de ressemblance, le fait qu'elle n'ait pas du tout peur. C'est le choix le plus difficile que j'ai eu à faire sur le film, c'est le rôle principal.
On sent une belle énergie dans le film, comment êtes-vous arrivé à transmettre cela ?
Au coeur du projet et de tous les choix de départ, il y avait toujours cette question de l'énergie. Pour moi, le film est sur une énergie dingue, l'énergie de la jeunesse. Je voulais ça, c'est quelque chose qui était au coeur du scénario. Cela a été un travail de tous les instants, à travers tous les éléments du film. L'interprétation, la réalisation.
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