• Entretien: Baya Medhaffar - A peine j'ouvre les yeux

    Par Michel Decoux-Derycke - Baya Medhaffar est une actrice originaire de Tunis et habitant à Paris. Dans "A peine j'ouvre les yeux" de Leyla Bouzid, elle est Farah, c'est son premier rôle au cinéma. Elle est présélectionnée pour les nominations au César du Meilleur espoir féminin.
    C'est au FIFF, à Namur, que je l'ai rencontrée. Entretien avec une jeune femme déterminée.

    Comment vous êtes-vous retrouvée dans le film ?

    En fait, j'ai eu un projet de film non abouti avec un réalisateur. Puis Leyla m'a appelée, on s'est rencontrées, on a beaucoup parlé. C'est après quelques mois, Leyla étant entre Paris et Tunis, qu'elle m'a fait passer un casting. Notre conversation m'avait déjà donné une idée du film mais quand j'ai reçu le scénario, il fallait que je le fasse. C'était comme une thérapie.

    Baya Medhaffar

    Aviez-vous l'ambition de faire du cinéma ?

    Non. Je ne dirais pas ça comme ça. Je suis passionnée de cinéma mais je n'envisageais pas forcément de faire une carrière dans le jeu. Là, je suis en licence, je fais des études de cinéma en vue de réaliser des films. Quand on a tourné le film en septembre 2014, je passais mon BAC. D'ailleurs, il fallait que le délai entre le tournage et la sortie soit court pour ne pas que les propos s'édulcorent.

    Vous avez vécu les événements de 2010, dites-nous en un peu plus ?

    J'étais plus impliquée que l'héroïne du film, Farah. J'étais moins naïve, heureusement ou malheureusement, je ne sais pas. En 2010, j'étais dans un lycée pilote. Parce qu'en Tunisie, si on est dans les cent premiers du brevet, on nous met dans un lycée spécial censé représenter l'élite du pays. Sauf que dans ce lycée-là, il n'y avait pas de section littéraire. Moi, je voulais faire des lettres depuis toute petite. Donc j'ai changé et intégré le lycée français.
    Mais cette année-là, la rentrée 2010-2011, était intéressante. Le directeur faisait partie du RCD, le parti de Ben Ali donc notre lycée était peint en mauve, la couleur du Président. Il y a eu un arrêt de cours de deux mois. On revient et le lycée est bleu. En fait, je n'arrêtais pas de sortir, j'incitais les gens à aller aux manifestations, j'étais vraiment pas le modèle qu'il faut pour ce lycée.

    J'ai lu beaucoup de blogs, beaucoup de textes à propos de ça.

    C'est vous qui chantez ?

    Oui et le choix de Leyla était que toutes les scènes de musique devaient être des live. Mais comme c'est du cinéma, c'était un peu compliqué. Parce qu'il faut donner, être dans l'énergie, dans la justesse, dans le jeu, ... On fait une prise dans cet axe-là, une dans un autre axe, il faut être chaque fois dans le même rythme. Mais ça va, je suis plus ou moins satisfaite du résultat.

    La relation avec la mère ?

    Cela n'a rien à voir avec la relation avec ma mère. J'ai eu une mère très permissive, qui était plus une amie, qui était artiste donc on partageait notre passion pour l'art ensemble. C'était une complice. Donc c'était difficile de jouer le conflit avec Ghalia. C'est une chanteuse pas très connue en Tunisie, elle l'est plus en Egypte. Nous nous sommes bien entendues. Dès la première rencontre, ça a fonctionné entre nous. Ce qui était pas mal, c'est que Leyla ait proposé le rôle de cette mère qui ne chante pas à Ghalia, une chanteuse et qu'il ait une fille qui chante. Cela nous a permis d'explorer des pistes.

    Est-ce que la Tunisie a changé ?

    Moi, je ne pense pas que cela ait vraiment changé. Les rouages du système sont encore les mêmes, c'est la même machine qui fonctionne. Ce ne sont plus les mêmes personne mais c'est la même mentalité. Une mentalité de l'auto-censure, des pots-de-vin, ... Cela ne peut pas changer en cinq ans, ni en dix ans. Mais il y a un grand travail qui est en train de se faire. Il y a des gens qui tentent de contrôler les institutions.

    Que diriez-vous aux lecteurs pour qu'ils aillent voir le film ?

    Il a été fait avec le coeur. C'est un film qui a été fait sans prétention, c'est viscéral en fait.

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