• Entretien: Laurent Larivière - Je suis un soldat

    Par Michel Decoux-Derycke - Laurent Larivière est un réalisateur et un scénariste français. Il a réalisé six courts métrages entre 1999 et 2014, il a aussi été scénariste d'un court en 2002. Il a remporté plusieurs récompenses à Grasse, Jeumont et Villeurbanne.
    C'est à Bruxelles, à la RTBF, que je l'ai rencontré. Entretien avec un homme réfléchi et  posé.

    D'où vient l'idée du film ?

    On a eu envie, avec mon co-scénariste, François Decodts, de travailler sur la honte sociale. Qu'est-ce que ça signifie d'avoir trente ans, de ne pas avoir mis en place sa vie future ? N'avoir rien construit et pour des raisons financières, devoir retourner vivre chez ses parents. A partir de ce point de départ, cela nous semblait une question de cinéma. La question du regard que votre famille porte sur vous. Quand vous ne rentrez pas dans les codes, dans les normes.
    On a eu envie de mettre le personnage dans un univers très loin de ses rêves de vie parisiens. Avec cette idée du chenil qui est un endroit sale, difficile, bruyant. Cela nous semblait un lieu très cinématographique, visuellement. A partir de là, on va faire basculer le film de ce début de chronique sociale vers un thriller. Tout d'un coup, ce décor avec le trafic de chiens devient une allégorie de la cruauté contemporaine.

    Laurent Larivière - Je suis un soldat

    Pourquoi un chenil ?

    On cherchait quelque chose de visuel. D'assez fort. Dans lequel on n'avait pas envie d'être. Dans lequel le personnage n'avait pas envie d'être. Et comme c'est une jeune femme qui a quitté le Nord de la France pour Paris, on se disait qu'elle avait des rêves très différents, que d'être dans la boue avec des chiens. On a travaillé sur ce contraste.

    Avez-vous enquêté sur le trafic de chiens ?

    Oui. On s'est rendu compte de la réalité du trafic. On n'en soupçonnait pas l'ampleur. En fait, c'est le troisième trafic après les armes et la drogue. Avant la prostitution ce qui paraît étonnant. C'est un chiffre d'affaire de quinze milliards de dollars, ce sont tous les animaux confondus: chiens, reptiles, singes, ... En France, c'est énorme, il y a six cent mille chiots vendus par an, il y en a seulement cent cinquante mille issus de bons élevages. En se renseignant, on a vu que les chiens venaient souvent des pays de l'Est, transitaient par la Belgique, qu'il y avait des vétérinaires véreux, qui faisaient des faux vaccins.

    Le rôle a-t-il écrit pour Louise Bourgoin ?

    Effectivement. Nous nous sommes rencontrés dans un atelier de théâtre. J'ai vu, à la fois, une jeune femme très drôle, celle qu'on a vue à la télévision ainsi que dans des comédies, et aussi une jeune femme venant des arts plastiques. Qui avait un vrai désir de films d'auteur. Qui avait une profondeur, une gravité que je n'avais pas soupçonnée dans les films jusqu'ici. Du coup, j'avais très envie de révéler au public cette part d'elle.
    J'ai écrit le scénario sans lui en parler. Un jour, je lui ai fait lire. A la lecture, elle m'a dit que le scénario était magnifique, très original, très visuel. Elle a ajouté que ce serait très bien pour la comédienne ayant le rôle. C'était délicat de sa part de ne pas s'imposer. Moi, je ne voulais pas lui faire lire en disant que c'était pour elle. Je voulais qu'elle fasse un trajet vers le personnage, qu'elle ait un désir.

    Jean-Hugues Anglade ?

    J'ai quarante-trois ans. J'avais quinze ans quand "37°2 le matin" est sorti. J'avais adoré "L'Homme blessé", "La Reine Margot", tous ces grands rôles. C'est un acteur que je suivais. Que je regrettais de moins voir au cinéma ces dernières années.
    Le rôle est complexe, il est très aimant, très protecteur avec sa famille. Jean-Hugues a quelque chose de très humain d'emblée. Il fallait aussi que le personnage puisse être très dur, très cruel à certains moments. Mais que tout ça soit extrêmement mêlé. Que des choses contradictoires soient très présentes en même temps. Qu'en fait, cela crée une instabilité, qu'on ne voie jamais très bien qui on a en face de soi. Ce qui a été passionnant avec Jean-Hugues, c'est de tisser toutes ces ambiguités. Il a adoré faire ça, il le fait de manière magistrale. Ce que Jean-Hugues a apporté en plus, c'est une sensualité. Il est très équivoque avec sa nièce, sa soeur. Il a une dimension un peu trouble.

    Que diriez-vous aux lecteurs pour qu'ils aillent voir le film ?

    Plusieurs choses. Le film est haletant. Il est original dans sa manière de parler de la réalité sociale du monde, par le biais d'un thriller et d'un film à suspense. On peut avoir une lecture spectaculaire du film et puis après, décoder tout ce que ça dit sur le monde contemporain. Je suis content de ça.
    Il faut aller voir Louise Bourgoin qui est une vraie révélation. Qui est très impressionante, qu'on a jamais vue comme ça. Et Jean-Hugues Anglade qu'on a jamais vu dans ce type de rôle-là. Je dirais aussi que tous les seconds rôles, il y a beaucoup d'acteurs belges puisqu'on a tourné en Belgique, forment une très grande cohérence. Le casting est une des choses dont je suis le plus fier.

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