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Entretien: Jean-Pierre Améris - Marie Heurtin
Jean-Pierre Améris est un réalisateur français. Diplômé de l'IDHEC, il réalise en 1987 trois courts métrages, parmi lesquels "Intérim', film qui remporte le Grand Prix du Festival de Clermont-Ferrand. En 1992, il réalise son premier long métrage: "Le Bateau de mariage". Quatre ans plus tard, son deuxième film, "Les Aveux de l'innocent", est récompensé plusieurs fois à Cannes: Prix de la Semaine de la critique, Prix de la Jeunesse et Grand Rail d'or. Par après, il réalise six films dont "Les Emotifs anonymes" et "L'Homme qui rit".
"Marie Heurtin" est son neuvième long métrage, sa troisième collaboration avec Isabelle Carré et c'est à l'occasion de l'avant-première bruxelloise que j'ai rencontré Jean-Pierre Améris.Pourquoi vous êtes-vous intéressé à l'histoire de Marie Heurtin ?
Quand j'étais adolescent, j'ai vu "Miracle en Alabama" d'Arthur Penn et cela m'a profondément marqué. Moi-même adolescent, j'étais très isolé, très enfermé. Ce qui me touche, ce sont les histoires de personnages enfermés qui arrivent à sortir d'eux-même. Comme j'avais du mal, cela me donnait du courage. Je me disais que si une sourde-aveugle y arrivait, j'y arriverais aussi.
J'aurais bien voulu réaliser un remake de "Miracle en Alabama" mais cela n'était pas possible financièrement. Donc, il fallait que je trouve quelque chose du même style se passant en France. Je n'ai jamais désespéré et en 2006, j'ai découvert l'histoire de Marie Heurtin et de Soeur Marguerite. C'est une histoire complètement oubliée y compris dans le monde des sourds. Je n'en revenais pas d'avoir trouvé cette histoire, c'était comme de trouver de l'or à l'époque du Far West. J'ai tout de suite raconté cette histoire à Philippe Blasband, le scénariste avec lequel j'aime travailler.A partir de ce moment-là, comment le scénario s'est-il élaboré ?
Il y a eu d'abord la recherche de documentation. J'ai exhumé des textes de Marie Heurtin où elle raconte sa vie. Elle parle notamment de son arrivée dans l'institution religieuse. Je suis allé voir les religieuses qui ne tiennent plus le centre depuis les années 60. Cependant, le centre existe toujours. Les religieuses m'ont toutefois ouvert tous les registres. J'y ai trouvé quelques notes de Soeur Marguerite et surtout de la Mère Supérieure qui raconte le désordre que Marie Heurtin a mis dans le pensionnat.
Après, à partir de l'automne 2007, je suis allé au centre de Larnay près de Poitiers. Le premier jour où j'y suis allé a été fondateur dans le désir de faire le film. L'accueil a été chaleureux et cela m'a vraiment donné envie de raconter l'histoire de Marie Heurtin. Donc pendant près de trois ans, je suis allé dans ce centre et cela a beaucoup nourri le scénario. Je racontais ce que je vivais à Philippe Blasband.
L'histoire de Marie Heurtin se passe au 19ème siècle, pourtant dans le film, il n'y a pas vraiment de reconstitution historique.
Dès l'écriture du scénario, il était bien clair que je ne voulais pas faire de reconstitution historique. Je pressentais, ce qui s'est révélé par la suite, que je n'en aurais pas les moyens. C'était aussi un désir de ma part. Je ne voulais pas de scènes de village ou de figuration.
Comme le film est nourri par beaucoup de choses vues au présent, je voulais que ce soit le plus au présent possible, c'est très stylisé, très épuré. Je voulais que le film soit une expérience sensorielle pour le spectateur. Que celui-ci ressente le silence qui n'est jamais le rien. Même pour les sourds, ce n'est jamais le rien, il y a des vibrations.
Pourquoi avoir choisi Isabelle Carré pour le rôle de Soeur Marguerite ?
Philippe Blasband et moi avons écrit le film en pensant à elle. Pour moi, c'était l'évidence. C'est la troisième fois que je tourne avec elle. Un film pour la télévision: "Maman est folle" en 2007 et deux films pour le cinéma: "Les Emotifs anonymes" et maintenant "Marie Heurtin".
Ce qui l'a touchée à la lecture du scénario, c'est cette part de maternité. Cette découverte d'une forme de maternité par cette religieuse. Il y a aussi l'apprentissage de la langue des signes, le défi lui plaisait. Elle a pris des cours presque quotidiennement pendant quelques mois. Elle s'est prise de passion pour cette langue et elle continue de la pratiquer. C'était également une occasion de jouer plus avec son corps. On fait beaucoup de films où les gens parlent, moi le premier. Dans "Marie Heurtin", c'est le corps qui s'exprime. Beaucoup dans la première partie, c'est même une violence physique. Dans la deuxième, c'est plus dans la tendresse.
Et le choix d'Ariana Rivoire pour jouer Marie Heurtin ?
Il s'agissait de trouver une adolescente. Ce n'était pas simple mais très difficile non plus. Je suis très pragmatique, je me suis dit qu'il fallait une sourde-aveugle. Il y avait une jeune fille intéressante au centre de Poitiers, je l'avais vue faire un spectacle de danse. Mais cela ne lui disait rien de jouer.
A ce moment-là, je me suis dit qu'il fallait plutôt prendre une sourde. On a fait les centres pour jeunes sourds en France jusqu'à arriver à Chambéry. C'était à quatre mois du tournage, on commençait à s'inquiéter un peu.
Pour moi, un casting, ce n'est pas choisir celui ou celle qui joue le mieux. Mais celui ou celle avec qui on a une rencontre, une sorte de coup de foudre. C'est en allant à la cantine que j'ai vu Ariana, elle a attiré mon regard. J'ai senti qu'elle avait quelque chose, qu'elle dégageait quoi.
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