• Entretien: Hadja Lahbib - Patience, patience... T'iras au paradis

    Par Michel Decoux-Derycke - Hadja Lahbib est journaliste et présentatrice du Journal Télévisé de la RTBF. Elle est aussi réalisatrice, à son actif, quatre documentaires.
    Je l'ai rencontrée à Bruxelles où elle a m'a longuement parlé de "Patience, patience... T'iras au paradis" qui vient de sortir en salles. Entretien avec une femme à l'enthousiasme communicatif et à l'oeil rieur.

    Pourquoi ce documentaire ?

    Tout démarre de Mina, la mère d'une amie d'enfance. C'était une femme extrêmement forte qui a élevé dix enfants, une femme incroyable. Vingt ans après, je la retrouve seule, dans un petit appartement, souffrant de solitude. Ses enfants étaient partis, son mari est mort. C'était comme si on n'avait pas prévu ça alors que cela risquait d'arriver. Je me suis dit que si Mina existe, il doit y avoir d'autres Mina. Des femmes issues de l'immigration qui vieillissent et qui, après cinquante ans, sont toujours étrangères à leur pays d'accueil. Parce que je pense qu'on avait un peu oublié les mères de l'immigration. Les femmes, celles à qui on n'a pas demandé si elles voulaient bien venir. Qui ont suivi leurs maris, qui leur étaient souvent étrangers. Ce sont les grandes oubliées de l'immigration et qu'il fallait quelque part leur rendre justice. Leur donner la parole.
    J'ai donc poussé la porte d'une association, Dar Al Amal. La directrice m'a confirmé qu'il existait énormément de femmes comme ça, que c'était un vrai problème de société. Que personne n'y avait pensé. Et que les maisons des femmes, il en existe quelques-unes à Bruxelles, ne sont pas à même d'accueillir toutes ces femmes. Quand elles osent, quand elles font la démarche d'y aller dans ces maisons. Certaines se laissent mourir de solitude parce qu'elles ont perdu leur raison d'être. C'est un drame. Je voulais mettre en lumière cette situation-là.

    Comment avez trouvé les femmes que l'on voit dans le film ?

    J'ai interviewé les femmes de l'association dont je vous ai parlé. Le groupe était beaucoup plus large, il y avait une Pakistanaise, une Turque, ... Je me souviens que la Turque m'a raconté que son mari l'avait littéralement enlevée. Elle a pris le train, elle croyait qu'elle allait passer ses noces dans une autre partie de la Turquie, elle s'est retrouvée en Europe. Ce n'est pas l'histoire de la plupart, de la majorité. Mais certaines pensaient qu'elles arriveraient dans un pays où il y avait du tapis plain partout. Elles avaient chacune un fantasme, un rêve. Personne ne pensait arriver dans des baraquements de mineurs, dans un pays plus ou moins hostile, où elles ne comprendraient rien, où elles seraient terriblement seules. C'était quelque part des héroïnes, elles ont été extrêmement courageuses. D'abord parce qu'elles sont restées souvent recluses chez elles, n'ayant pas leur mot à dire. Elevant des enfants à la demi-douzaine avec les moyens du bord. Sans connaître le pays d'accueil, sans qu'on leur donne leur chance.

    Hadja Lahbib

    Il y a des moments extraordinaires par exemple à Saint-Hubert.

    C'est l'association qui a décidé d'envoyer ces femmes dans cette ancienne étape pour prêtres. Je me suis imposé avec la caméra, à la demande de ces femmes. Je leur ai dit: "je vais venir avec vous sans caméra pour que se tissent des liens de confiance et qu'on apprenne à se connaître". Et là-dessus, elles m'ont dit: "mais Hadja, tout ce qui va se passer à Saint-Hubert, on ne va pas le reproduire après, c'est notre première sortie, on ne va pas la recommencer, on n'est pas des actrices". Heureusement qu'elles ont insisté, je leur en suis infiniment reconnaissante. Parce qu'il y a eu des moments magiques qui ne se sont plus jamais reproduits.

    Egalement à Ostende et la rencontre avec Arno ?

    C'est ça qui est magique dans le documentaire, c'est qu'à un moment donné, il vous échappe complètement. Les personnages ont leurs propres vies, décident ce qui veulent. Pour la petite histoire, c'est Arno qui m'avait dit qu'il cherchait une voix pour un spectacle, une voix rauque, âgée. Je lui ai parlé de Tata Milouda qu'il ne connaissait pas. J'ai appelé Tata Milouda qui, elle, a appelé toutes ses copines. Et puis, elles se sont retrouvées à sept pour aller à Ostende. Dans ces sept, seule Mina n'avait jamais vu la Mer du Nord, c'était là une occasion incroyable. Elle se demandait même si il y avait une mer en Belgique.
    Cela donne finalement ces images absolument surréalistes. Cette mer où on se demande si on n'est pas dans le désert.

    En fait, ces femmes ont beaucoup d'humour.

    Elles sont juste incroyables. Pendant le film, on a eu des moments un peu durs. Moi, j'avais un autre boulot. A chaque fois que je les revoyais, c'était une bouffée d'énergie, d'oxygène. Je me suis même dit qu'il faudrait les prescrire en tablettes contre la dépression. Parce qu'elles ont un courage, un humour et plus c'est grave, plus elles rigolent. Après la mort de quelqu'un, elles ont la tradition de rendre visite, souvent on pleure de rire. Ce sont vraiment des larmes de fous-rires. Parce qu'elles sont comiques, vraiment drôles, elles ont l'art de la formule. Aussi l'art de dédramatiser. Je pense que c'est ce qui leur a permis de se sauver, de vivre des situations que moi, je ne voudrai vivre pour rien au monde.

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