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Entretien: Christian Mungiu - Baccalauréat
Par Michel Decoux-Derycke -Cristian Mungiu est un réalisateur, scénariste et producteur roumain. Son deuxième long métrage "4 mois, 3 semaines, 2 jours" a obtenu la Palme d'or lors du Festival de Cannes en 2007. Il a également obtenu, au Festival de Cannes en 2012, le Prix du scénario pour "Au-delà des collines" . "Bacalaureat", son cinquième long métrage, lui vaut le Prix de la mise en scène à Cannes en 2016 .
Rencontre avec un homme affable et parlant un excellent français à Bruxelles.D'où vient l'idée de "Baccalauréat" ?
Ce qui est important de dire, c'est que je suis parent moi-même, avec beaucoup de doutes sur l'avenir et l'éducation de mes enfants. Un peu comme le personnage du film. J'avais envie de faire le portrait de quelqu'un qui a mon âge aujourd'hui. De réfléchir sur la différence extraordinaire sur la vie que vous vous imaginiez quand vous avez vingt ans et celle que vous vivez à cinquante ans. Parfois, il y a une différence énorme entre les deux. C'était un point de départ.
Je voulais faire aussi un film parce que je demandais si c'était possible de rester vraiment très honnête dans une société qui est parfois malhonnête. Je ne pense pas à la société elle-même, mais faire des films qui partent d'une histoire particulière pour parler des choses qui se passent dans la société aujourd'hui. L'autre idée fondamentale, c'était de parler de compromis, de la corruption qui existe dans la société en général.
Après ça, j'ai besoin de trouver une histoire, je n'aime pas inventer une histoire et y installer des messages. Je voulais trouver une histoire qui parle de ces thèmes.
L'histoire, justement ?
J'ai pris plusieurs faits divers, des choses que j'ai lues dans la presse. Et parmi ceux-ci, il y avait cette histoire d'une journaliste qui est descendue de l'autobus à Bucarest et quelqu'un l'a attaquée avec un couteau. Il est parti avec elle, il a fait un kilomètre avec elle et personne n'est intervenu. Cela parlait beaucoup, pour moi, de ce manque d'empathie pour les autres, de cet égoïsme que nous avons toujours.Votre film est aussi très universel ?
C'est ça que j'espère. Le modèle de corruption, on le comprend assez bien que ce soit dans n'importe quel pays. C'est ce dont les gens me parlent en premier, que ce soit les spectateurs ou la presse. Ce film parle de la nature humaine. Il parle de beaucoup de choses qui sont assez universelles: les relations entre les parents et les enfants, la différence entre le discours théorique et la pratique.
"Baccalauréat" est aussi un film optimiste.
Les gens me demandent parfois si c'est un film optimiste ou fataliste ? Je n'ai pas la bonne réponse. Ce que les spectateurs ressentent, c'est qu'ils ressentent dans leur propre vie. Cela appartient à chaque personne. Ce que j'essaye toujours, c'est de garder la complexité, l'ambiguïté.
Comment avez-vous choisi les acteurs ?
J'aime travailler avec des comédiens qui ne sont pas connus. J'aime que vous voyiez dans l'écran quelqu'un que vous pourriez croiser dans la rue, que vous n'associez pas avec un comédien. Alors je cherche des comédiens pas connus, qui n'ont pas fait du cinéma.
J'ai une façon particulière de travailler avec mes comédiens. Je commence par jouer tous les rôles, comme ça, je leur montre le rythme, l'énergie particulière à leur rôle. Après ça, on répète beaucoup. Je réécris toujours les dialogues pour que ce soit la façon la plus banale dont les gens se parlent. C'est exactement ce que les gens pourraient dire dans une situation.
On tourne beaucoup, beaucoup de prises. Je tourne en plans-séquences, je trouve qu'il y a une vérité associée à cette façon de tourner. La vie se déroule comme ça, sans avoir la possibilité d'intervenir. Il n'y a pas de montage dans nos vies. Toutes les scènes sont faites avec un seul plan par scène. C'est une décision que j'ai prise il y a trois, quatre films. Ce n'est pas une décision formelle, c'est un point de vue sur le cinéma. Si vous prenez la vie comme modèle, vous devez la respecter dans vos films.
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Tags : Christian Mungiu, Baccalauréat, Roumanie, Plans-séquences, Palme d'or, Prix de la mise en scéne, Prix du scénario, Festival de Cannes