-
Entretien: Thomas Bidegain - Les Cowboys
Thomas Bidegain est un scénariste et réalisateur français. C'est en 2004 qu'il apparaît dans le cinéma avec "A boire" de Marion Vernoux dont il écrit le scénario. En 2009, il entame sa collaboration avec Jacques Audiard par "Un prophète", il fera aussi deux autres scénarios: "De rouille et d'os" ainsi que "Dheepan". Entretemps, il est l'auteur de huit scénarios de courts-métrages. On le retrouve également avec Joachim Lafosse, Fred Grivois, Bertrand Bonello.
C'est lors du Festival de Gand que je l'ai rencontré, il y présentait sa première réalisation: "Les Cowboys". Entretien avec un passionné.Pourquoi un scénariste passe-t-il à la réalisation ?
Chacun a ses petites raisons. Moi, j'ai eu beaucoup de chance, je ne suis pas du tout un scénariste frustré. J'ai travaillé avec des grands réalisateurs. Je touche du bois, j'espère que je continuerai à travailler avec des grands réalisateurs comme scénariste.
La première chose qui m'a donné envie d'être réalisateur, c'est de travailler avec les acteurs. Parce qu'on peut écrire une scène vingt fois, trente fois et on va dire quelque chose à l'oreille d'un acteur, ça va prendre un autre sens, ça va tilter ! C'est la continuité de l'écriture. Je dis toujours: «on n'écrit pas des scénarios, on écrit des films». L'incarnation par un acteur, cela fait partie de l'écriture. C'est très important.
Puis un jour, j'ai eu l'idée de cette histoire. Un ami m'avait parlé de ces réunions de types qui aimaient beaucoup la country. Il m'a montré des photos, il m'a dit qu'il fallait faire un western avec ça. Parce qu'il y a déjà l'image. Effectivement, c'était une bonne idée. Et puis en travaillant sur un autre projet, j'ai entendu parler des premiers djihads. Là, je me suis dit: «ah voilà, les cowboys et les indiens». Parce que ce type croit qu'il est un cowboy, il va croire que les autres, les musulmans, sont les indiens. A partir du moment où on a cette métaphore-là, on peut utiliser beaucoup de choses qu'on a vues dans les westerns. Beaucoup de scènes qu'on a déjà comprises, qu'on a déjà aimées. Elles vont prendre un sens un peu moderne. Pour mon premier film, cette métaphore me permettait d'avoir la carte avant de partir en voyage, d'avoir une certaine assurance.
Je m'en suis rendu compte à posteriori que c'était un film sur la transmission. Vraiment beaucoup sur ce qui nous reste, si on est un peu meilleur que nos parents, comment est-ce qu'on a appris d'eux. Mon père disait toujours: «recevoir, célébrer, transmettre».
Quelles sont vos influences cinématographiques ?
Mon éducation s'est faite en regardant les films des studios. J'ai une cinéphilie assez pointue là-dessus, sur les grands films des studios avec les grands réalisateurs. Ceux des studios américains du muet au parlant, jusqu'aux années 60. Un cinéma très classique. Un cinéma de genre où il y avait les films noirs de la Warner, les westerns de la MGM. Et ça, c'est comme si je l'avais reçu et puis que je le célébrais et que j'essayais de le transmettre.Ici, vous avez une totale maîtrise du film.
Vous savez, le cinéma est un sport collectif. Je pense qu'il faut faire confiance aux gens. Il faut qu'ils vous donnent plus que ce que vous avez en tête. J'ai eu beaucoup de chance de travailler avec une équipe formidable. C'est vrai qu'il y a des moments où on est un peu seul. C'est Jacques (NDLA: Audiard) qui m'a dit ça: «tu vois, scénariste, c'est un métier, réalisateur, c'est un état». Pour être réalisateur, il faut se mettre dans un certain état, dans une certaine énergie. Pour ramasser le drapeau et partir avec.Vous ne deviez pas vous tromper dans le casting ?
Effectivement. Puisque que je venais là pour travailler avec les acteurs. Si je m'étais trompé, cela aurait été un autre film. Non, je suis très content du casting que j'ai eu. J'ai eu de la chance qu'ils acceptent de me suivre dans l'aventure. Finnegan, je ne le connaissais pas, François, je l'avais rencontré une fois. A propos de François, il était très bien dans "Suzanne" mais il était encore un peu une victime. Dans mon film, je voulais qu'il soit fort et que ce soit un personnage sexué. Il fallait que j'aille chercher chez lui quelque chose que je voyais, c'est-à-dire une force de la nature, une puissance. Il est puissant, il est beau, il donne envie. Tout en sachant qu'il avait ça en lui. Le personnage d'Alain, le père, n'est pas très sympathique à la base. Mais François allait lui permettre de rester très émouvant d'un bout à l'autre, de garder une certaine humanité. Même si c'est un personnage qui n'écoute pas, qui ne veut rien entendre. Qui est déterminé, qui est solitaire.
Quant à Finnegan, il est fabuleux parce qu'il apporte un mystère, quelque chose de très touchant. C'est un personnage qui ne parle pas beaucoup. A un moment donné, il devient le héros, fort et sexué. Et il se révèle dans toute sa complexité.
Si je vous dis qu'il y a deux films dans votre film, êtes-vous d'accord ?
Je dirais même qu'il y en a quatre. Le premier, c'est une femme disparaît, c'est une enquête. Le deuxième, un drame familial, un fils devient gardien de son père, là, on est de nuit, on est au nord de l'Europe, un moment sombre puis le fils reprend la quête, là, c'est un film d'aventures, un film où on fait du cheval, on porte des turbans, on a des pistolets, on échange des femmes contre des gourmettes, enfin, on revient et là, c'est une histoire d'amour.
Lire aussi la critique du film Les Cowboys
Tags : Les Cowboys, Thomas Bidegain, Jacques Audiard, Gand 2015, François Damiens, Finnegan Oldfield