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Entretien: Rachid Djaïdani - Tour de France
Par Michel Decoux-Derycke - Rachid Djaïdani est un écrivain, réalisateur, scénariste et comédien français. Comme comédien, il a joué dans "Ma 6-T va crack-er", "Le Plus Beau Métier du monde" ou encore "Le Cousin". Comme réalisateur, il débute par un documentaire: "Sur ma ligne" en 2006, un autre suivra ainsi qu'un webdocumentaire. En 2012, il réalise son premier long métrage "Rengaine", sélectionné à la Quinzaine des Réalisateurs à Cannes et récompensé par le Prix FIPRESCI. Il revient à nouveau aux documentaires avant de réaliser "Tour de France", le film qui nous occupe aujourd'hui. C'est à Liège, au cinéma Sauvenière, que je l'ai rencontré.
Pourquoi "Tour de France" ?
D'abord je suis heureux d'être avec vous. Ce film était une nécessité. C'est peut-être un peu prétentieux ce que je vais dire mais c'est un film que je devais à la France. C'est la trajectoire de deux France qui, au quotidien, ne se cotoient pas, ne se regardent pas, ne se fréquentent pas. Et pourtant, elles sont enracinées sur le même terroir. Elles sont condamnées à vivre la même destinée. Il arrive un moment où il va falloir casser les murs. J'aime aussi raconter des histoires avec plein d'espoir.
Pourquoi ces deux personnages, le jeune rappeur et le vieux ronchon ?
J'ai essayé de cristalliser deux mondes qui sont sans cesse malmenés, maltraités, bafoués, humiliés. Ils sont mis à l'écart, par le fait qu'ils sont en périphérie, hors du centre et en même temps qu'on agite une fois les élections venues. A la fois le monde des quartiers sensibles illustré par Far'Hook (Sadek) et la France des prolétaires illustré par Tonton (Gérard Depardieu). Pour moi, ils représentent et cristallisent deux peurs. En même temps, avec ces deux personnages, on a vite fait de les identifier. Ce qui était important, c'était d'identifier deux France reconnaissables. C'est deux France qu'on ne voit que très rarement dans le cinéma. Si ce n'est pour la stigmatiser, la stigmatiser et encore la stigmatiser jusqu'à la rendre caricaturale.Ces deux France, elles se croient ennemies mais elles ne le sont pas ?
Grave. Parce qu'on est dans un système qui a divisé pour régner. Ces deux France qu'on ne voit jamais. Quand on traite du Front National, quand on traite des banlieues ou d'autres problèmes dans la société, on invite deux, trois sociologues qui viennent palabrer des malaises et des mal-êtres. A aucun moment, on ne veut voir le visage de ceux qui souffrent. Et qui ont besoin de communiquer parce que la communication permet d'apaiser la douleur et la souffrance.
C'est cela, "les élites" ?
En haut, c'est mieux que des élites, ce sont des tireurs d'élite. Ce sont des snipers. C'est pour ça que le film, je l'ai fait avec amour. Je comprends aussi que cette intelligentsia qu'on est en train de nommer, ce film la dérange. Pour elle, "Tour de France", c'est un tour de force auquel il ne veulent pas contribuer.
Les tableaux de Vernet, pourquoi ?
Après "Rengaine" en 2012, j'ai réalisé un documentaire autour d'un peintre qui s'appelle Yassine Mekhnache. J'ai toujours aimé la peinture et j'ai donc fait un documentaire qui n'a pas trouvé de distributeur et de diffuseur. Le monde du documentaire, c'est compliqué. Au-delà de ça, le fait de m'être baigné dans la peinture, ça a nourri l'envie de suivre la trajectoire d'un peintre. Ensuite, j'avais envie de sortir du côté parisien qu'on me reprochait dans "Rengaine". Si on me dit que mon film est parisien, j'ai l'impression d'une exclusion. Cela, c'est pour le côté peinture.
Pour dire la genèse, j'ai des potes qui faisaient un road trip à travers la France. Ils enregistraient, c'étaient des rappeurs dans un home studio qu'ils avaient mis en place dans leur voiture. Ils m'avaient proposé d'écrire un texte et de le scander parce que je ne suis pas un rappeur. J'avais trouvé leur idée et leur initiative tellement incroyable que j'avais commencé à les filmer. Je parle de ça, on est en 1999.Je me dis: "eh Rachid, un jour, il faudrait que tu fasses un road trip comme ça." Peu à peu, en écrivant, en faisant évoluer l'histoire, ce n'était plus un home-studio mais une estafette puis un camion de maçon, ce n'était plus enregistrer des rappeurs mais découvrir une France, ce n'était plus enregistrer des sons mais peindre des ports qui avaient été peints il y a de cela 250 ans.
Y a-t-il eu de l'improvisation ?
Aucune. Gérard Depardieu déteste l'improvisation. "Rengaine", ce n'était que de l'impro mais ici, non. Sadek, c'était la première fois qu'il jouait dans un film et dans la musicalité du texte, dans ce que le texte dit, tu ne peux pas improviser. Parce qu'il y a la quintessence d'une écriture et d'une pensée.
Gérard Depardieu ?
C'est dingue, c'est juste extraordinaire. Le fait d'avoir rencontré Gérard Depardieu, ma vie n'est plus la même. J'ai fait un voyage initiatique à ses côtés dont le thème principal était l'amour et le respect. Sa présence contribue à me nourrir. Sans lui, ce film n'aurait pas été possible. Gérard est magnifique, c'est le prophète du septième art. Sur le ring du septième art, c'est le Mohamed Ali.
Vous êtes allé à Cannes, comment cela s'est-il passé ?Merveilleux. Je m'y étais rendu pour "Rengaine" qui avait été une expérience fantastique. Cette fois, c'était bouleversant parce que j'y allais avec un cinéma à la loyale, avec une expérience de vie différente puisque j'avais tourné avec Gérard Depardieu.
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