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Entretien: Pierre Etaix - FIFF 2010
Pierre Etaix nous a quitté ce vendredi 14 octobre. Il était réalisateur, acteur, clown, dessinateur, affichiste et dramaturge. Vainqueur de l'Oscar et le BAFTA du meilleur court métrage en 1963 pour "Heureux anniversaire", il en réalisera cinq. Six longs métrages étaient à son actif entre 1962 et 1989.
J'ai eu la chance de le rencontrer au FIFF en 2010. J'ai le souvenir d'un vieux monsieur charmant qui a répondu avec gentillesse à mes questions.D'où vient votre vocation d'artiste multiple ?
Sans doute de mes parents. Ma mère était musicienne, mon père avait un goût éperdu pour tout ce qui était comique. Il m'a souvent parlé de Buster Keaton que moi-même je n'ai découvert qu'en 1961. Il disait que Charlot, c'était bien mais que Buster Keaton, c'était merveilleux. Bref, l'hérédité, cela aide sans doute mais le fait que mes parents n'aient jamais contré ma vocation est sans doute le plus important. A quatre ans et demi, j'ai été au cirque et je voulais devenir clown, ils m'ont encouragé. J'ai toujours fait ce que j'avais envie de faire. Et ce n'était pas facile à l'époque, il n'y avait pas d'école de ceci ou de cela. Il fallait se prendre en main. Je suis complètement autodidacte dans beaucoup de domaines. Donc mes parents m'ont toujours soutenu et ce, jusqu'au bout. Mon père a eu la chance de voir mon premier film.Votre rencontre avec Jacques Tati ?
Je l'ai provoquée tout simplement parce que je l'avais entendu à la radio, il y disait que les jeunes qui voulaient devenir clowns, il les encourageait. Je lui ai écrit pour lui demander conseil. Lorsqu'il m'a reçu trois mois plus tard, il m'a dit : " qu'est-ce que vous faites en ce moment ?". Je lui a répondu que je dessinais dans un journal, j'ai d'ailleurs apporté quelques dessins. Il les a regardés et m'a dit que j'avais le sens de l'observation et du gag. Il a ajouté qu'il préparait un film et m'a proposé de travailler avec lui.
Et travailler avec lui, comment était-ce ?
C'était un dur labeur qui a duré quatre ans et demi. J'ai travaillé sur l'écriture de "Mon oncle" qui était à l'état de l'ébauche. On a travaillé sur le scénario, après quoi, j'ai dessiné tous les personnages, les costumes, les décors, ...
Cela s'est terminé parce que je l'ai quitté pour un numéro de music-hall, je suis revenu après pour l'aider quand il a monté un spectacle à l'Olympia: Jour de fête à l'Olympia.
Vous avez aussi travaillé avec Fellini.
Je n'ai jamais vraiment comment il me connaissait. Peut-être parce que mon épouse s'appelait Fratellini et qu'il savait qu'on avait des documents. Il est venu les consulter pour "Les clowns". Il s'en est servi dans le film. Pour tout vous dire, je n'ai jamais apprécié ce film. Il a voulu représenter les clowns par des acteurs qu'on maquillait. Les clowns sont des gens uniques au monde, un clown n'est pas un acteur qui joue un rôle, il a une personnalité, il n'a pas d'auteur, pas de metteur en scène, qui n'a pas de dialogue à apprendre, qui est lui-même. Son film m'a irrité.Pendant plusieurs années, vos films ont été bloqués pour des questions juridiques. Comment avez-vous vécu ces moments difficiles ?
Comme tout homme qui vit des choses difficiles. J'ai quand même continué de travailler pendant tout ce temps-là. C'est ce qui m'a sauvé. Cela a été complexe. Je n'avais pas la prétention de ressortir mes films parce que quarante ans étaient passés. J'avais surtout envie de faire quelque chose de nouveau, d'autre. C'est ça qui a été douloureux, c'est que j'ai travaillé sur des projets pendant vingt ans et qui n'ont jamais pu aboutir. Le plus difficile était d'admettre que je ne pouvais aller plus loin. Mais si mes films intéressent encore les gens, j'en suis ravi. Cela me donne la gnaque pour continuer.
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