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Entretien: Muriel Coulin - Voir du pays
Par Michel Decoux-Derycke - Muriel Coulin est une réalisatrice française. Elle débute dans le cinéma en 2008, avec sa soeur Delphine, par le court métrage "Souffle". La même année, elle réalise seule "L'homme sans douleur" et en 2009, à nouveau avec sa soeur, elle nous propose le court métrage "Seydou". C'est en 2011 qu'elle réalise, en duo, son premier long métrage "17 filles", notamment présenté au FIFF à Namur. Cette année 2016 voit les deux soeurs Coulin revenir sur le devant de la scène avec "Voir du pays". C'est à Bruxelles que j'ai rencontré Muriel Coulin pour une conversation très intéressante.
Pourquoi l'adaptation en film du roman de votre soeur, Delphine ?
Quand j'ai lu le manuscrit, je me suis dit que c'était une histoire vraiment forte. Nous avions fait la précédente adaptation du précédent roman de Delphine "Samba pour la France", cela s'était vraiment bien passé. Donc je répète, comme l'histoire de "Voir du pays" était forte, pourquoi ne pas l'adapter ?
Vous aviez déjà réalisé un long métrage ensemble, il était logique que vous continuiez ensemble ?
Bien sûr, c'était "17 filles" et nous avons également réalisé des courts métrages ensemble. L'adaptation, c'était autre chose. Si elle écrivait que c'était une grande brune, c'était logique, c'était son imaginaire. Mais elle a été très ouverte aux propositions, cela s'est bien passé en fait.
Le sujet du film, en quoi il vous parle ?
En fait, Delphine était partie de l'amitié féminine. C'est quelque chose de fondateur, l'amitié féminine. Les amitiés du lycée, on les garde en mémoire toute sa vie. Souvent, les liens perdurent à l'âge adulte. C'était une première chose.
Ensuite, on voulait explorer la violence et les femmes. Est-ce que les femmes peuvent être aussi violentes que les hommes ? On dit souvent, si les femmes dirigeaient le monde, ce serait moins violent. Nous, on ne pense pas ça. La forme de la violence n'est pas la même. Je ne pense pas que la violence est une chasse gardée des hommes. Les femmes sont capables d'autant de pugnacité et de force que les hommes.
C'était donc intéressant d'aller voir cela dans une profession, l'armée, où la virilité est mise en avant.Un de vos personnages dit:"on passe de la burqa au bikini", cela résume quelque peu le film, non ?
Nous, on dit même de la burqa au string. C'est vraiment ça parce que pendant six mois, ces militaires ne voient pas une jambe de femme. Le matin, ils sont à Kaboul et l'après-midi, ils sont, à Chypre, devant des filles qui se trémoussent sur des plages. C'est peut-être que d'arriver dans la famille parce qu'ils ne sont pas préparés à revenir dans une vie où, pendant six mois, on a fait sans eux. Mais en même temps, le choc est quand même brutal.
C'est étonnant, cette histoire de sas de décompression pour les militaires revenant d'Afghanistan, en Belgique, cela n'existe pas.
En Belgique, ils étudient cette possibilité. Donc notre film arrive à point nommé. Après, le sas n'a pas fonction de guérir en trois jours. C'est un petit coussin d'atterrissage avant de retrouver la famille. Les militaires américains qui l'utilisent comme les Canadiens, ils appellent ça don't kill your wife come in back.
Normalement, c'est fait pour retrouver un peu de la vie civile: c'est-à-dire avoir à nouveau un vêtement civil, dormir et manger convenablement, aller se baigner, retrouver les sensations individuelles du corps. C'est avant tout ça le sas.
Vous prenez les gens à rebours puisque plutôt que de parler du terrorisme ou des terroristes, vous nous montrez les traumatismes vécus par les militaires.
Je pense que les artistes, les écrivains, les cinéastes ont un flair un peu développé que les autres. Quand je vois, par exemple, Bertrand Bonnello qui a écrit son film en 2010, il le dit partout dans les interviews, et que son film est ultra-contemporain, de ce qui passe après ces attaques de novembre en France et de mars en Belgique. Forcément, ça parle davantage aujourd'hui parce que ce climat délétère que l'on avait pressenti quelques années auparavant, là, il a explosé. Tous ces traumas, on peut en parler parce qu'ils sont venus aussi sur notre territoire.
Comment avez-vous choisi les deux actrices principales: Ariane Labed et Soko ?
Soko, c'est une actrice qui peut tout jouer. Elle sait faire le grand écart au propre comme au figuré. Nous l'avions repérée dans "Augustine", nous l'avions vue dans "A l'origine" de Xavier Giannoli. elle avait un petit rôle mais elle était déjà très marquante. Donc nous avons vu son potentiel tout comme celui d'Ariane. Les deux ensemble, cela faisait un couple de femmes fortes, intelligentes, très bonnes comédiennes.
Ariane Labed, on l'a découverte dans "Atenberg". Au fur et à mesure qu'on a vu ses films, on se disait: "elle a du coffre".
Vous parlez aussi du problème chypriote, ce qui m'a fortement interpellé puisque je suis moi-même d'origine chypriote.
Ce qui est fou, c''est que le sas de l'armée française se passait à Chypre. Là, maintenant, ce n'est plus le même territoire. Cela a changé. C'est complètement dingue. C'est le seul pays européen coupé en deux, entre un pays chrétien et un pays musulman, avec une vraie barrière au milieu. Chypre symbolise la faillite puisqu'il a été le premier pays en Europe en crise économique et nous le montrons. Et en boomerang, on a aussi les réfugiés qui viennent de conflits mené par la France. Il y avait une certaine ironie. Puisque les militaires, partis défendre la démocratie, on le dit au début du film, ils reviennent à l'endroit où c'est en train de prendre l'eau.
Donc cela nous permettait, ce n'était pas notre but premier, de poser des questions sur notre monde contemporain qui commence à perdre la tête.
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