• Entretien: Matthieu Frances - Monsieur Etrimo

    Par Michel Decoux-Derycke - Matthieu Frances est un réalisateur belge. Diplômé de l'IAD en 2004, il crée la société de production, Playtime Films, avec deux autres réalisateurs belges. Il a produit et coproduit plusieurs longs métrages documentaires ainsi que des courts métrages de fiction. Actuellement, il travaille à l'écriture et la réalisation d'un projet de série de fiction, "Ennemi Public", projet sélectionné par la RTBF et la Fédération Wallonie-Bruxelles.

    D'où vient l'idée de Monsieur Etrimo ?

    Elle vient de David Deroy qui est l'auteur du projet. Il est venu me voir en 2007 avec une simple feuille A4. Elle présentait la vie de Jean-Florian Collin, du scandale de 1970, etc... Il m'a dit: "je veux absolument faire ça, il y a des gens de ma famille qui ont habité dans les Etrimo, ça parlera à tout le monde". Je lui ai dit que c'était bien mais qu'il fallait faire un dossier, qu'il fallait imaginer une histoire derrière tout ça. 
    Il m'a beaucoup parlé de l'entreprise Etrimo, du scandale immobilier, des fastes du personnage Collin. Je me rappelle avoir été emballé par l'histoire humaine. 

    Matthieu Frances

    Pourquoi sous la forme documentaire ?

    Parce qu'on avait la chance d'avoir pas mal de gens qui pouvaient encore témoigner. Que ses bâtiments sont là. Et aussi, on a eu une mine d'or d'archives personnelles de la famille. Du coup, nous nous sommes dit qu'il y a avait une force d'évocation, un voyage dans le temps possible pour le spectateur. C'est pour cela que le choix a été orienté vers un film qui, finalement, a pratiquement 50% d'archives. Ce qui est assez inhabituel. 

    Comment avez-vous travaillé pour les témoignages ?

    C'est David qui s'en est occupé. Il avait déjà énormément travaillé, il est journaliste de formation et cela se sent. Il investigue très fort, il va très loin dans ses recherches. Donc il avait pris des contacts avec la famille, avec l'ancien manager d'Etrimo, Léopold Mertens, qu'on voit brièvement dans le film. Il avait, dans sa tête, les infos. Il fallait les extraire pour les mettre dans un scénario. 
    Pour le scénario, nous avons travaillé à quatre mains. J'y ai intégré une structure plus fictionnelle et David était le garde-fou.

    Votre point de vue sur Jean-Florian Collin a-t-il changé ?

    Au départ, je le condamnais très fort. Le type, je le trouvais gentiment néo-libéral, paternaliste. Avec tous les défauts des nouveaux riches qui veulent faire comme les bourgeois. Pour imiter une classe qu'il n'a jamais connue. En creusant son histoire, je me suis rendu compte qu'il était touchant. Parce qu'il y a un fantasme social derrière, la volonté de travailler pour les autres. Cela fait même partie des problèmes de la société Etrimo, c'est ce qui a fait qu'il a coulé. Tout cet aspect humain, cet espèce de grande tristesse, de grande mélancolie qu'ont les grands dirigeants. Tout ça m'intéressait et a fait changer mon point de vue. 
    David, c'est un peu le parcours en miroir. Il était fasciné par le bonhomme. En salle de montage, il s'était rendu compte qu'il y avait des zones d'ombre chez Collin. Des aspects détestables. 
    Nos points de vue ont changé. C'est une des forces de travailler sur un sujet comme ça, c'est de ne pas être le même à l'arrivée qu'au départ.

    Quelles ont été les réactions de la famille Collin à la vision du film ?

    Ce fut haut en couleurs. Déjà, toute la famille a participé au film d'une manière ou d'une autre. Nous n'avons jamais rien caché sur ce que nous allions faire, nous avons été honnêtes avec eux. Dès le départ, nous leur avons dit que nous serions très précis. Que nous ne masquerions pas certains aspects négatifs de la figure paternelle. 
    Une fois que le film est fini, les interprétations sont diverses. Pour les enfants, c'est difficile d'entendre dire, par un des architectes d'Etrimo, que leur père pouvait piquer des crises de nerf, virer à tour de bras, se comporter comme un magnat. Qu'il y avait de l'indigence voire de l'incompétence dans la réalisation d'Etrimo, volontaire, consciente. 
    Maintenant, je ne travaille pas pour la famille Collin, je ne fais pas du reportage. Il n'y aucune volonté d'être neutre, non plus. A un moment donné, on doit trouver les éléments dramaturgiques quand on fait un film. Et cela en fait partie, il faut charger parfois le personnage pour mieux, éventuellement, le sauver à la fin.

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