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Entretien: Jeanne Herry - Elle l'adore
Par Michel Decoux-Derycke - Jeanne Herry est une romancière, actrice et réalisatrice française. Formée à l'Ecole International du Théâtre puis au Conservatoire de Paris, elle a débuté, comme actrice à l'âge de dix ans, dans "Milou en mai" de Louis Malle, elle jouera dans cinq autres films. En 2009, elle réalise un court métrage: "Marcher" avec, dans le rôle principal, sa mère: Miou-Miou. Elle est aussi l'auteur d'un roman: "80 étés" publié chez Gallimard en 2005.
C'est à Bruxelles que je l'ai rencontrée. Entretien avec une jeune réalisatrice gardant les pieds sur terre.Pourquoi ce film ?
Pourquoi pas (rires). Parce que j'avais plein, plein d'envies. Plein d'envie de cinéma, plein d'envie d'écrire un polar. D'écrire un scénario exigeant au niveau de la construction. Quelque chose d'haletant et drôle. L'envie de se faire rencontrer une fan et un chanteur. Un cadavre encombrant au milieu de tout ça.Et pourquoi sous la forme d'un polar ?
Parce que j'adore cela depuis toujours. J'adore les romans policiers, les émissions sur les faits divers. J'aime les films d'Hitchcock, ce sont des films qui racontent très bien certains aspects de la nature humaine, même la nature humaine en général. Pas de manière poseuse, il y a des histoires fortes et des enquêtes policières prenantes. En même temps, ça dessine des gens. Pour moi, c'est un genre assez noble.Le fait que votre père (NDLA: Julien Clerc) soit chanteur n'a-t-il pas joué dans la construction du personnage de Vincent Lacroix ?
Je ne me suis pas dit: je vais mettre un chanteur parce que mon père est chanteur. Mais il se trouve qu'il est chanteur. Effectivement, cela m'a intéressé de mettre en scène un chanteur qui est une synthèse de plein de chanteurs. Ce n'est pas un biopic et je vous rassure, mon père n'a tué personne. Ce n'est pas inspiré de faits réels.
Par contre, il y a de vraies images de choses que j'ai vues dans ma vie, dans mon enfance. C'est probablement inconscient, c'était pour moi nécessaire de les mettre en scène.
C'est un chanteur qui ne chante pas du tout, pourquoi ?
Ce n'est pas le propos du film. Je n'avais pas envie de faire écrire des chansons, de les faire enregistrer par Laurent Laffite. Cela me tombait des mains cette idée d'avoir à filmer ces scènes. Je savais que les chansons seraient plus ou moins réussies. Que je les ferais passer pour des tubes très connus alors qu'ils seraient inconnus. Tout ça me paraissait bancal.
Par contre, la construction de sa carrière servait l'histoire. C'était important de travailler là-dessus. Pour comprendre leur relation, pour comprendre le personnage de Muriel et celui de Vincent, tout ce qu'il a à perdre et pour comprendre les choix qu'il va faire, c'était important de montrer tout ce qu'il avait construit en vingt ans. Qu'il était là depuis longtemps, qu'il avait un vrai parcours artistique. Il fallait que ce soit crédible.
Comment s'est fait le choix de Laurent Laffite ?
Cela a été assez long. Au départ, le personnage était un peu plus âgé donc je ne l'avais pas envisagé. Quand j'ai rajeuni le personnage, c'est ma productrice qui, en premier, a pensé à lui. En réfléchissant, cela m'a paru évident. D'abord, c'est un très bon acteur. Qui a beaucoup de profondeur et qui, en même temps, est très drôle. Qui va à fond, qui est sincère dans toutes les situations. En plus, il a ce truc d'être crédible en chanteur. Même sans le faire chanter, on y croit derrière un micro, derrière un piano. Il est beau garçon. Pour moi, cela devait être une dimension du personnage. Même si il n'était pas question qu'il soit une gravure de mode mais chez les chanteurs, il y a de la séduction, le fait d'être un objet de contemplation. Donc, il est parfait.
Et Sandrine Kiberlain ?
Sandrine est arrivée un petit peu plus tôt que Laurent dans le projet. Elle a beaucoup aidé à sa faisabilité. Sandrine, c'est une immense actrice. Pour moi, c'est l'une des meilleures actrices du monde. Autant s'adresser à la meilleure (rires).
Elle avait tout ce qu'il fallait pour le personnage. C'est un équilibre. elle peut être solaire et lunaire, drôle et grave. Elle donne tellement de profondeur et d'élégance au personnage. Surtout pour un personnage aussi chargé que celui de Muriel. Il ne faut vraiment pas être lourdingue parce que sinon cela devient ennuyeux, pathétique. C'est dur d'incarner l'espèce de petite dinguerie douce avec de l'innocence, de la candeur.
Il y a aussi les deux flics qui vivent une histoire dans l'histoire.
Oui, l'histoire B. Une histoire d'amour de flics, leur histoire de couple. Cette histoire B qui vient tout le temps agripper l'histoire A. C'était une volonté à l'écriture. En fait, c'est un film qui montre les faces A et les faces B de tous les personnages. Le chanteur dans son quotidien et dans l'exercice de son métier, Muriel qui a des enfants, un métier et qui a cette singularité d'être fan. Les flics, c'est pareil, ce ne sont pas seulement des enquêteurs. Ce sont des gens qui travaillent avec leurs problèmes de dos, leurs problèmes de dents, leurs problèmes de couple.C'est une constante dans le film, vous captez les regards, comment ?
Là, je me pose la question de savoir ce qui m'intéresse. Par exemple, dans la scène où Vincent Lacroix apprend la mort de sa copine, je veux voir son désarroi, le vertige, la brèche qui s'ouvre devant lui. Ce vertige-là, j'ai envie de le voir dans ses yeux, dans son visage. Je place la caméra devant son visage et je ne le quitte pas. Au montage, je ne le quitte pas non plus, je reste dessus. Parce que Laurent, dans cette scène, est tellement bon, il va tellement chercher ce vertige, cet espèce de gouffre.
Votre manière de filmer est très anglaise, vous allez à l'essentiel.
Oui, il n'y a pas mille expositions psychologiques avant. Les scènes d'exposition, c'est un peu la chienlit. Donc, je me suis dit que j'allais exposer les personnages au fur et à mesure. Pas vingt minutes au début du film pour dire: lui, il pense ça, il vit comme ça et elle, pareil. Et puis, on les faire se rencontrer. Non, mon objectif, c'était qu'ils se rencontrent très vite.
Il fallait que le film aille vite. Parce qu'il était tellement dense à l'écriture que si je n'allais pas vite, je ne saurais pas tout mettre.
C'est votre premier long métrage, n'avez-vous pas eu peur ?
Si, si. J'avais le trac. J'ai eu très peur la dernière semaine avant de tourner. Mais je m'étais bien préparée, j'étais très bien entourée. Sur le tournage, j'étais détendue parce que j'ai beaucoup travaillé en amont. Je me suis adaptée aux situations. Autour de moi, j'avais des gens chevronnés qui m'ont bien aidée. J'avais peur mais j'étais heureuse d'être là.
Le fait d'être la fille d'une actrice et d'une chanteuse ne vous-a-t-il pas aidé ?
Bien sûr, pour plein de trucs. Etre fille de, cela aide. Pas forcément à l'endroit que les gens supposent. C'est-à-dire que les pistons, les passe-droits, je ne dis pas que cela n'existe pas mais c'est un peu fantasmé. Par contre, cela rend ce milieu familier, moins effrayant. On est au coeur de la création artistique. On s'aperçoit que ce sont juste des gens qui travaillent ensemble. Cela rend les choses très concrètes. Pour moi, c'était juste le travail de mes parents. Moi, cela m'a donné une familiarité et une envie de travailler dans ce milieu. C'est plutôt agréable. Il y a aussi le mode de vie. Le fait d'avoir des moments de travail très intenses et puis un mois ou deux pour repartir. Ce n'est pas routinier, on rencontre des gens tout le temps. Donc, de ce point de vue-là, cela aide puisqu'on se dit: c'est possible. C'est possible qu'en écrivant quelque chose, cela donne un film. C'est possible qu'en prenant sa douche, on imagine une scène. Ce n'est pas gagné d'avance mais cela donne envie d'essayer.Lire aussi la critique de Elle l'adore
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