• Entretien: Melvil Poupaud - Laurence Anyways

    Par Michel Decoux-Derycke - "Laurence Anyways" est le troisième film en trois ans pour Xavier Dolan: "J'ai tué ma mère" en 2009, "Les Amours imaginaires" en 2010 et cette année: "Laurence Anyways". Avec ce dernier film, le réalisateur québecois entre de plain-pied dans la cour des grands. Même si avec deux premiers films, il avait déjà marqué les esprits.
    C'est dans un grand hôtel bruxellois que j'ai rencontré Melvil Poupaud pour lui poser quelques questions. Autant vous dire que ce fut une conversation très intéressante à propos d'un film et d'un réalisateur, non moins intéressants.

    Quelle a été votre réaction quand Xavier Dolan vous a choisi pour jouer le rôle de Laurence ?

    En fait, je n'ai pas été tellement surpris. A la base, je devais jouer un petit rôle dans le film. J'avais rencontré Xavier dans des festivals, nous nous étions bien entendus et je m'étais dit que je travaillerais, un jour, avec lui. Il me plaisait, il m'intéressait. Quand il m'a proposé le petit rôle, j'ai pensé que j'avais raison. Mais je trouvais bizarre que ce ne soit qu'un petit rôle, je me suis dit qu'on devrait faire quelque chose de plus important ensemble. Coup de chance pour moi, l'acteur, pressenti au début, n'a pas fait le rôle principal. Quinze jours avant le tournage, Xavier m'a appelé pour me proposer le rôle de Laurence. J'étais emballé et disponible. Je connaissais le scénario pour l'avoir lu. J'étais très heureux de passer du temps avec Xavier, de travailler avec lui.

    Melvil Poupaud

    Comment avez-vous abordé ce rôle, celui d'un homme qui devient une femme ?

    La chance que j'ai eu, c'est celle d'avoir participer au montage d'un documentaire, "Crossdresser", que ma mère (NDLA: Chantal Poupaud) avait réalisé. Ce sont cinq portraits d'hommes hétérosexuels qui, depuis qu'ils sont petits, s'habillent en femme. Non pas par perversion ou parce qu'ils ont envie de sortir avec d'autres hommes mais au contraire, parce qu'ils sont fous des femmes. Ils adorent les femmes, ils ne vivent que dans un monde de femmes et se sentent femmes. Ils rejettent le monde masculin, leur corps d'homme et le comportement des autres hommes. C'est une espèce de super hétérosexualité. Je pense que le personnage de Laurence est dans cette catégorie-là. D'ailleurs, ce n'est pas un film sur la transsexualité mais plutôt sur l'histoire d'amour entre lui et Fred, sa fiançée. Quand il n'est pas avec elle, il est avec une autre femme. On sent que c'est quelqu'un qui est amoureux des femmes. Donc je connaissais le sujet, cela ne m'a pas fait peur.

    Le fait de vous habiller en femme ne vous donc pas gêné ?

    Quand je me suis habillé en femme, je n'ai pas eu peur du tout. Même pas eu peur de mon reflet alors que j'étais monstrueux par moments. Je me sentais plutôt à l'aise en talons aiguilles et tout le reste. C'est le regard des autres qui est le plus dérangeant. Parce que les gens vous regardent en se disant qui c'est ce travelo ? On pense tout de suite à une prostituée. Un regard où l'on sent que les gens se posent beaucoup de questions. Des hétérosexuels qui vous regardent avec un peu de désir, des femmes qui ont l'impression qu'elles deviennent lesbiennes. Cela questionne beaucoup les gens autour plus que la personne elle-même. Le vrai challenge, c'était de faire abstraction des autres et ainsi pouvoir me lâcher dans le personnage.

    Comme vous l'avez dit tout à l'heure, ce film est aussi une histoire d'amour, belle mais tragique, qu'est-ce que vous en pensez ?

    Le choix que fait mon personnage perturbe sa fiançée, ce qui est normal. Parce qu'à la base, elle n'est pas lesbienne donc elle ne comprend pas trop ce qui se passe. Elle a l'impression que son copain l'a trahie, lui a menti depuis le début, qu'il est homosexuel. Toutes les questions qu'on se pose tous, elle se les pose. C'est quand même gonflé de la part de Laurence de demander à Fred de vivre avec un homme qui s'habille en femme et qui devient une femme. C'est aussi le sujet du film: par amour, jusqu'où peut-on aller ? Est-on capable d'accepter que l'autre devienne un autre ?

    Pourquoi aviez-vous envie de travailler avec Xavier Dolan ?

    J'ai senti dès le début qu'il avait quelque chose de spécial. Pas seulement parce qu'il était très précoce, il a fait son premier film à 16 ans. Il avait 21 ans au début de son troisième long métrage. C'est impressionnant. Ce qui me plaît chez lui, c'est une espèce de nouveauté dans son cinéma. Comme si il revivait le cinéma. Comme si il permettait de réutiliser certains clichés du cinéma et de les remettre au goût du jour. Des ralentis, des travellings, des effets un peu fantastiques, même oniriques. Beaucoup de musique, un côté clip. Pas mal de choses que permet le cinéma et que beaucoup ne se permettent pas. Lui, il prend la liberté de lâcher sa mise en scène. Au-delà de l'esthétique, il y a le côté très humain de ses personnages. Les rapports mère-fils, les rapports de couple. Une espèce de maturité dans les rapports humains qui est très touchante. C'est un mélange de beauté formelle et de profondeur sentimentale.

    Vous parlez des rapports mère-fils, Nathalie Baye joue votre mère dans "Laurence Anyways", comment cela s'est-il passé entre vous deux ?

    Nathalie, je la connais depuis dix ans. J'ai tourné avec elle "Les Sentiments". Je connais sa fille, Laura Smet. Mon frère est guitariste de Johnny Hallyday. Je connaissais donc la famille. Dans le film de Xavier, elle a un peu été secouée. Il a une façon de diriger les acteurs qui est assez unique. Il parle beaucoup, il donne beaucoup d'indications. Il mime les scènes, il mimait les scènes de Nathalie. Il la poussait pratiquement à bout ce qui fait que le personnage est fascinant. C'est une mère frustrée, aigrie, assez méchante. On a l'impression qu'il n'y a pas d'amour entre la mère et le fils, pourtant il y en a beaucoup. Il n'y a aucune complaisance entre eux mais c'est un rapport honnête. On sent que plus son fils s'épanouit dans son choix, plus elle se révèle à elle-même. Il y a cette très belle phrase dans le film: je n'ai jamais eu l'impression que tu étais mon fils, par contre, j'ai l'impression que tu es ma fille. En fait, c'est une libération pour elle.

    Si vous deviez donner envie aux lecteurs d'aller voir le film, que diriez-vous ?

    Vous découvrirez un jeune metteur en scène, très inspiré, renouvellant le cinéma. Avec des références à Kubrick, à Titanic mais aussi à certains films plus romanesques des années 50. Une espèce de film d'amour hollywodien, un côté très surprenant. C'est le côté surprenant du film qui fait qu'il est passionnant.

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