• Entretien: Stéphane Lafleur - Tu dors Nicole

    Par Michel Decoux-Derycke - Stéphane Lafleur est un réalisateur québecois, il est aussi scénariste, monteur et musicien. Il débute dans le cinéma en 1999 avec le court métrage "Karaoké". Son premier long métrage, "Continental, un film sans fusil", remporte les Jutra du meilleur réalisateur et du meilleur scénario en 2008. Il a aussi réalisé un documentaire: "The National Parks Project".
    C'est à Namur, au FIFF, que je l'ai rencontré où il était venu présenter son troisième long métrage: "Tu dors Nicole". Entretien avec un réalisateur plus qu'intéressant et défenseur de la francophonie.

    Pourquoi ce film ?

    Pourquoi se pencher sur la vie de deux jeunes femmes et plus particulièrement sur celle de Nicole ? Pour se soigner soi-même, peut-être ? Pouvoir parler de soi tout en se cachant un peu. L'idée de personnages plus jeunes est l'envie de me détacher de mes films précédents, de parler d'une tranche d'âge que je n'avais pas encore abordé. L'impression aussi qu'on voit plus de films sur l'adolescence, la perte de l'innocence, les premières expériences. Après ça, il y a comme un saut vers la fin de la vingtaine, le début de la trentaine où les gens ont déjà des carrières et se rendent compte qu'ils ne sont pas heureux dans leurs choix de vie, dans leur couple. Alors que Nicole est vraiment entre les deux, elle est dans cet espèce d'entre-deux, elle se cherche un peu. Je voulais faire une comédie poétique. Il y a une espèce de contemplation, de poésie à travers des petites choses.

    Le noir et blanc ?

    C'est venu accidentellement pendant que j'écrivais le film. En discutant avec la directrice photo qui a fait mes deux autres films. Elle savait sur quoi je travaillais, elle savait que je cherchais une espèce de sentiment, de relation avec l'été que j'avais peut-être perdu un peu. Je suis tombé sur un livre de photos de Robert Adams qui avait fait toute une série de paysages, de banlieues la nuit, en noir et blanc, un livre magnifique. Il exprimait exactement ce que je cherchais comme sensation. L'idée est donc née là. C'est aussi quelque chose qui est venu nourrir le côté onirique du film. Une partie un peu rêve, un peu fantastique. Cela donne un côté intemporel, ce que je souhaitais parce que je ne voulais pas faire le portrait de deux filles en 2014. J'ai éliminé tous les accessoires très modernes comme les téléphones intelligents. On ne sait plus trop en quelle année on est. Le noir et blanc contribue à ça.

    Stéphane Lafleur © David Ameye

    Comment avez choisi vos comédiennes ?

    Cela a été un très, très long processus. Dans mes films précédents, il y a plus de personnages. C'est la première fois que je passe autant de temps sur un seul personnage, Nicole est dans tous les plans, il ne fallait pas se tromper. La directrice de casting a vu une centaine de filles, le casting était ouvert à des non-professionnelles. A cause des musiciens dans le film, j'avais envie de me laisser la latitude de travailler avec des gens qui n'avaient pas d'expérience devant la caméra. Je me disais que ce serait peut-être la même chose pour les filles. En avançant dans le casting, je me rendais compte que ce que je demandais aux acteurs était tellement précis, un jeu atypique, naturel sans l'être, il fallait que j'aie de vrais acteurs. On ne s'improvise pas acteur.

    Vous êtes un habitué de Namur, c'est déjà la troisième fois que vous venez.

    Juste, trois longs métrages, trois fois que je viens. Le premier était reparti avec le Bayard d'Or. Ce que j'aime, c'est ce rassemblement de films francophones. Cette idée d'une francophonie qui s'exprime différemment. Nos films, bien qu'en français, ont besoin de sous-titres pour être bien compris ici mais reste qu'on parle français. Pour nous québecois, faire des films en français est un choix culturel, aussi un choix politique. Ce serait très facile d'abandonner tout ça, de faire des films en anglais et de s'ouvrir de plus grands marchés. Mais on persiste, on continue parce que cela fait partie de nous.

    Qu'est-ce qui fait qu'il y a une grosse production cinématographique au Québec ?

    Que ce soit en cinéma, en télévision, en musique, en littérature, il y a beaucoup d'artistes au pied carré au Québec. Je pense que cela fait partie de notre culture, que cela fait partie d'un processus d'affirmation et d'identité. D'existence et de survie. Oui, d'existence et de survie. Il y a effectivement beaucoup de choses qui se font. Je suis content de voir, en parlant de cinéma, qu'un film comme "Mommy" ait du succès à l'international. On ne doit pas être gêné de ce qu'on fait. Il faut souhaiter que ce soit de mieux en mieux.

    Si vous deviez envie aux lecteurs d'aller voir le film, que diriez-vous ?

    Je suis le pire vendeur de mes films (rires). On passe trois ans à faire un film donc c'est qu'on y a cru. Cela devrait être une motivation. Beaucoup de filles m'ont dit que ça correspondait à l'amitié entre filles. Beaucoup de mères l'ont vu et m'ont confié qu'elles retourneraient le voir avec leurs filles. Donc c'est un film qui arrive à joindre les adolescents, les gens dans la vingtaine autant que des gens un peu plus vieux.

    Lire aussi la critique de Tu dors Nicole

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