• Entretien: Nadine Labaki - Et maintenant, on va où ?

    Par Michel Decoux-Derycke - Récemment sorti en salles et récompensé par trois prix au FIFF, "Et maintenant, on va où ?" est un film à voir. C'est une ode à la paix, à la compréhension. Lors du Festival International du Film Francophone de Namur, j'ai rencontré Nadine Labaki. Un entretien où la réalisatrice m'a expliqué le pourquoi et le comment de son film.

    Comment avez-vous eu l'idée de "Et maintenant, on va où ?"

    L'idée est née de la coïncidence de plusieurs choses  au même moment. Quand j'ai commencé à réfléchir, avec mes co-auteurs, à un scénario, j'étais enceinte. En même temps, il y a eu des événéments au Liban qui, encore une fois, ont amené les gens à prendre les armes et à descendre dans la rue. En l'espace de quelques heures, on a eu l'impression de rentrer dans une nouvelle guerre civile. En tout cas, moi, je l'ai senti comme ça. Heureusement, cela n'a duré que quelques semaines. Devant l'absurdité de cette situation, j'ai voulu m'exprimer, tout simplement. De plus, comme j'allais être mère, cela m'a donné une plus grande envie de parler de l'absurdité de ces événements.
    L'idée de base, c'était qu'une mère allait tout faire pour empêcher son fils de prendre les armes et de descendre dans la rue. Petit à petit, ça s'est développé en un village où les femmes allaient tenter d'éviter la guerre à leurs hommes.

    Est-ce de la pure imagination que toutes les femmes d'un village tentent d'empêcher la guerre ou cela a-t-il réellement existé ?

    Non, non, c'est utopique. D'ailleurs, on aurait pu appeler le film Utopie. C'est vrai qu'on a envie que cela se passe comme ça. Mais malheureusement, ce n'est pas le cas. Je connais des mères qui poussent leur fils à faire la guerre. Je pense que ce film est l'espoir d'une société où l'on réfléchirait d'une autre manière. Qui essayerait de trouver une solution.

    Nadine Labaki

    La scène d'ouverture est extraordinaire. On peut y un groupe de femmes se mettant à danser et à chanter. Comment avez-vous imaginé cette séquence ?

    Cette scène est inspirée de toutes ces femmes, de toutes ces mères qui portent le deuil, certaines depuis trente ans. J'en ai vu soit à la télévision, soit dans ma famille, avoir des réactions violentes face à la mort d'un fils ou d'un père pendant la guerre. Cela devient comme un rituel. Elles s'arrachent les cheveux, elles se cognent la tête contre un mur, elles se roulent par terre, elles s'arrachent les habits. C'est une expression de la souffrance très violente. C'est imprégné chez moi. C'est une sorte d'hommage à toutes ces femmes, à toutes ces mères. Je me demande comment elles font pour vivre, pour survivre.

    Vous jouez aussi dans le film, comment avez-vous vécu cette double casquette de réalisatrice et d'actrice ?

    Ce n'est pas facile de le faire. Pour moi, cela vient naturellement. La plupart de mes acteurs ne sont pas professionnels, cela me permet d'être avec eux. De diriger la scène de l'intérieur, de créer le rythme, d'improviser beaucoup. De prendre une direction différente par rapport au scénario. C'est difficile quelquefois mais pour moi, ça passe.

    Le cinéma est-il le bon moyen d'expression quant à vos doutes, à vos sentiments ?

    Bien sûr. C'est une arme non violente. Je pense que ça véhicule beaucoup d'idées tout en étant un moyen de divertissement. C'est cela qui fait que le cinéma a un grand pouvoir de changer les choses. De plus, quand on vient d'un petit pays (NDLA: le Liban), on se sent responsable en quelque sorte. Ce n'est pas juste un film, c'est une manière de s'exprimer, une manière de vouloir changer les choses. Même si cela peut sembler un peu trop utopiste, un peu trop idéaliste. Mais j'ai envie de rester idéaliste à travers la chose que je sais faire, c'est-à-dire le cinéma.

    Donc c'est important de venir dans un festival comme celui de Namur ?

    Bien sûr. C'est important, très important. C'est vraiment une reconnaissance. Personnellement, je n'ai pas appris en tournant avec d'autres réalisateurs, en allant travailler sur des films. J'ai appris en faisant des clips, des pubs. Donc avoir la reconnaissance de grands festivals, c'est un label de qualité qui réconforte, qui me donne du courage pour continuer.

    Si vous deviez donner envie aux spectateurs d'aller voir votre film, qu'est-ce que vous diriez ?

    Je peux dire que c'est un film qui a été fait avec beaucoup de coeur, avec une envie de changer la situation. C'est aussi une invitation à comprendre ce qui se passe au Liban, à mieux nous connaître en tant que Libanais.

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