• Entretien: Laurent Cantet - Retour à Ithaque

    Par Michel Decoux-Derycke - Dès son premier long métrage "Ressources humaines" en 2000, Laurent Cantet pose les bases de son cinéma: humain, passionnant et exigeant. En 2008, il remporte la Palme d'or à Cannes avec "Entre les murs". Son sixième film "Retour à Ithaque" raconte l'histoire de cinq amis réunis, sur une terrasse de La Havane, pour fêter le retour d'Amadeo après seize ans d'exil.
    C'est lors du Festival de Gand que j'ai rencontré Laurent Cantet. Entretien avec un réalisateur aussi intéressant que son cinéma.

    D'où vient l'idée du film ?

    Cela vient de plein de choses. D'un attachement que j'ai pour Cuba. J'y vais régulièrement depuis une dizaine d'années. J'y ai rencontré plein de gens, je me suis fait des amis. J'ai toujours envie d'y retourner pour comprendre un peu mieux. Cuba, c'est un peu compliqué, c'est une énigme. Il y a des choses que l'on croit comprendre et qui s'avèrent être fausses. 
    Et puis il y a eu aussi un concours de circonstances. On m'a proposé de faire un court métrage dans le film "7 jours à La Havane". Sept regards d'étrangers sur la capitale cubaine. A cette occasion-là, j'ai rencontré un romancier cubain dont j'aimais déjà beaucoup les livres: Leonardo Padura. Celui-ci chapeautait l'écriture des différents scénarios de courts métrages. Je lui avais proposé qu'on travaille sur un personnage d'un de ses livres. S'inspirer d'un personnage revenant d'exil et retrouvant sa bande de copains. J'ai travaillé sur cela avec Padura mais nous avons vite compris qu'un quart d'heure ne serait pas suffisant. Donc nous avons arrêté et moi, j'ai écrit un scénario plus adapté à "7 jours à La Havane". 
    Dès qu'on a été disponible, on s'est retrouvé et on a développé l'histoire. On l'a construite ensemble.

    Laurent Cantet au Film Fest Gand

    A partir de là, que s'est-il passé ?

    Il a fallu financer et cela n'a pas été facile. Parce que faire un film en espagnol avec des comédiens cubains, l'idée semblait bizarre. Par exemple, les chaînes de télévision françaises n'en voulaient pas parce que c'était en espagnol. 
    Dès qu'on a eu la quasi certitude de pouvoir faire le film, je suis allé à Cuba et j'ai commencé le casting. J'ai senti que l'histoire motivait les comédiens, qu'ils avaient le sentiment de raconter leur propre histoire à travers ce film. 

    Justement, comment avez-vous choisi les comédiens ?

    Il se trouve que ceux qui m'ont le plus convaincu sont les stars du cinéma cubain. Qu'on ne connaît pas du tout en France, qu'on connaît un peu en Espagne. Ils sont assez connus en Amérique latine et très connus à Cuba.
    Après, on a travaillé de manière classique. En répétant, en faisant des lectures, en intégrant des choses que les comédiens proposaient, en modifiant parfois des dialogues. 

    Tout au long du film, on reste dans un cadre unique, pourquoi ?

    J'avais envie d'accorder de l'attention à ce qui était raconté. Il me semblait que si on sortait de ce cadre, cela allait se diluer, se perdre. J'ai l'impression que tout ce qu'ils se disent, ils devaient se le dire en une nuit. Comme si il fallait mettre les choses à plat dans l'urgence. 
    Cela me touchait de voir ce groupe en me disant qu'ils étaient un peu dingues. Moi, si une soirée se déroulait comme ça, je partirais. 

    Quelles ont été les relations avec les autorités cubaines ?

    Normales. Nous avons fait une demande tout à fait officiellement. Le scénario a été accepté et on nous a donné l'autorisation de tournage. De là, on n'a plus eu le moindre contrôle. 

    Votre film a été présenté dans plusieurs Festivals dont celui de Gand, quelles ont été les réactions du public ?

    Généralement, le public est très ému. Beaucoup emploient l'expression: "je me suis senti invité sur cette terrasse. Comme si j'étais là et que j'apprenais à connaître progressivement ces gens. Et qu'au bout de très peu de temps, je sentais une intimité." Pour moi, c'est la plus belle réaction que je pouvais imaginer. C'est bien comme ça que j'envisageais les choses. 

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