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Entretien: Josef Schovanec - TEFF 2017
Josef Schovanec est un philosophe, écrivain français et autiste, militant pour la dignité des personnes autistes. Depuis dix ans, il donne de nombreuses conférences et des formations dans le domaine de l'autisme. Connu pour sa voix particulière, son sens de l'humour, sa politesse, sa franchise et sa logique, il témoigne souvent, lors de ces rencontres, sur ce qu'il vit et observe en tant que «personne avec autisme». Je l'ai rencontré à Namur lors de cette 4ème édition du TEFF.
Pourquoi avoir accepté d’être juré au TEFF ?
C’est très simple, Luc Boland est un ami de longue date. Pour moi, c’est une joie de le revoir. D’une certaine façon, être juré, c’est une sorte de prétexte pour pouvoir revoir des amis. Il y a aussi des raisons plus matérialistes parce que je me nourris de chocolat belge et de bonnes choses., j’ai également une faiblesse pour les boulets sauce lapin, je précise, des authentiques boulets, pas des ersatz.Que pensez-vous de peu de moyens alloués au Festival ?
Je trouve très choquant qu’à chaque fois, Luc soit obligé de se battre pour boucler des budgets. Plus ou moins en comptant sur la grâce de Dieu et les miracles du monde. Il est aussi choquant qu’on en soit toujours à ce stade. En même temps, le Festival est un succès, je dirais incontestable à tout égard. Il a même plus de succès que des Festivals de cinéma en général, qui ont des budgets grassouillets et qui, finalement, n’ont aucun impact et n’apportent rien à qui ce soit. Il est assez triste que dès que l’on évoque la question du handicap, on en soit à des montages caritatifs. C’est très révélateur en soi. C’est très catastrophique par rapport à notre marge de manœuvre, on perd toute son énergie à essayer de grappiller quelques pièces.
Comment qualifierez-vous la sélection de films ?
Il y en certains qui sont éblouissants. Pourtant, je pensais être un peu rôdé, voire désabusé avec les années. Mais à chaque fois, on reste muet d’ébahissement . Il y a un signe qui ne trompe pas, d’année en année, il y a de plus en plus de films qui sont envoyés à l’organisation. Les chiffres grimpent à chaque fois. Il y a une sélection drastique, il y a un peu près 1 sur 10 repris.
Et j’ajouterais qu’il y a une telle qualité que je me demande pourquoi ces films sont labellisés handicap. Ils peuvent largement battre les films dits de personnes valides.
Il y a également une diversité dans les films, on parle d’autistes, de trisomiques, de polyhandicapés, …
Et c’est heureux. Je suis de plus en plus sensible aux questions liées à la trisomie 21. Parce que les personnes trisomiques 21, dans beaucoup de pays du monde occidental, sont liquidées. On retrouve beaucoup de problématiques sur le plan du rejet social, sur les facultés que les personnes peuvent acquérir, on trouve beaucoup de choses.
Typiquement, il y a cette question très sombre, revenant régulièrement quand je discute avec des amis autistes. Peut-être que la survie des autistes, c’est dû à l’inexistence d’un test génétique fiable. C’est ça la petite chance de l’autisme par rapport à la trisomie, pour le dire un peu brutalement. Dans un monde de plus en plus normatif, de plus en plus dur, c’est une question qu’on est en droit de se poser.
Votre combat pour faire comprendre l’autisme est-il perdu d’avance ?
Non, le combat n’est pas perdu. Il a parfois des dangers nouveaux qui apparaissent. Il faut en être conscient, tenter d’éviter les mauvais coups. Je ne pense pas que le combat soit perdu parce des personnes concernées par l’autisme, le handicap prennent la parole. A ce titre, les nouvelles technologies jouent un rôle fondamental. Toutes les personnes handicapées ou personne vous le diront, avant, un aveugle, un sourd ne pouvait presque pas communiquer. Maintenant, il n’y a plus trop de problème.
Il y a une autre raison me poussant à une forme d’optimisme. Beaucoup d’entreprises, de nos jours, recherchent les sous. Peut-être que dans certains cas, le handicap peut contribuer à la rentabilité des entreprises. D’une certaine façon, on peut détourner l’appât du gain de manière positive. J’essaie de développer un concept que l’on pourrait appeler l’économie bleue. Il y a bien l’économie verte liée à l’écologie, on peut imaginer l’économie bleue qui mette l’accent sur les compétences dans certains profils atypiques et qui sachent les valoriser. C’est déjà mis en place dans un certain nombre de pays mais c’est à trop petite échelle, c’est au niveau expérimental pour le moment.
L’accessibilité pour les personnes à mobilité réduite est souvent problématique pour ne pas dire plus, votre avis là-dessus ?
Dans les gares, les personnes, prévues pour s’en occuper, viennent une fois sur deux. Pour une personne en fauteuil roulant, l’une des pires choses, c’est le côté imprévisible de l’accessibilité. Certains bus peuvent être accessibles mais très concrètement, ça ne leur sert pas à grand-chose. On ne sait jamais si le bus à l’approche sera ou non accessible. Dans telle gare, il peut y avoir un ascenseur en panne et comme c’est dimanche, ce n’est réparable. Cela ne sert pas à grand-chose quand ce n’est pas fiable. Je pense que aucune personne valide n’accepterait des transports fonctionnant une fois sur trois.
Vous êtes chroniqueur sur La Première et Europe 1, qu’est-ce que cela vous apporte ?
Que ce soit clair, ce n’est pas moi qui ait sollicité les deux radios. Je ne me sens pas capable de décrocher un emploi par des combines ou autres. On m’a proposé de faire des chroniques, tant que je peux, tant qu’on me demande, je continue. Le petit message secret que j’essaie tant bien que mal de faire passer, notamment sur La Première, c’est qu’on peut passer en revue la culture du monde au sens large, au point de vue littéraire ou artistique. De voir que nous devons beaucoup à des gens dits bizarres ou dits anormaux. On peut considérer que si on est parfaitement normal, on sera très peu créatif. C’est un constat.
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