• Entretien: David Lambert - Je suis à toi

    Par Michel Decoux-Derycke - David Lambert est un réalisateur et scénariste belge. Entre 2009 et 2014, il réalise et scénarise trois films: un court métrage ("Vivre encore un peu...") et deux longs métrages ("Hors les murs", "Je suis à toi"). Pendant la même période, il écrit les scénarios d'un court métrage ("Dans nos veines") et de deux longs métrages ("La Régate", "Post partum"). Au Festival de Cannes 2012, avec "Hors les murs", il remporte le Rail d'or. 
    J'ai rencontré David Lambert à Bruxelles, dans le loft de Mister Emma. Entretien avec un réalisateur traçant avec obstination son sillon.

    D'où vient l'idée du film ?

    C'est en rencontrant des prostitués masculins et féminins et en regardant des films sur ce sujet-là, du moins avec un personnage prostitué. Je me disais que les problématiques montrées au cinéma ne correspondaient pas à ce que je voyais dans la vie. Je trouvais que c'était très, très loin des réalités que je pouvais constater que ce soit économiques, affectives, sexuelles. Je trouvais que c'était toujours la même histoire, de criminalisation du prostitué, d'une passe qui dérape, un peu toujours la même chose. 
    Du coup, j'ai commencé à plancher sur un personnage de prostitué qui soit très typique, très particulier et aussi un personnage qui serait très typique, très particulier. Qui seraient des personnages de 2014 avec des problèmes de 2014. Après, c'était d'essayer de faire se rencontrer des personnages qui ne devaient pas se rencontrer. Sortir des clichés. D'essayer de rendre de l'humanité à ces personnages-là. D'essayer de faire quelque chose de juste et honnête.

    David Lambert

    Les deux protagonistes se rencontrent par Internet.

    Je trouve qu'Internet permet des rencontres incongrues. Au cinéma ou au point de vue scénario, c'est très intéressant. C'est le réel. En trois clics, on peut rencontrer quelqu'un comme si on le rencontrait dans la vie réelle grâce à la caméra et au son. 
    En même temps, il y a des filles et des garçons qui n'attendent que ça, de venir dans un pays qu'il suppose riche. Et qui se retrouvent coincés dans une réalité nettement moins belle. 

    Dans "Je suis à toi", la comédie est plus présente que dans "Hors les murs", c'était une volonté ?

    Oui. Je voulais mêler la comédie et le drame, de mêler ces deux tons. Passer du rire aux larmes et des larmes aux rires. De jouer avec ces deux émotions-là. 
    "Hors les murs" a une tonalité plus dramatique. Il y avait quand même des moments comiques. Mais il est construit sur des personnages qui vont droit dans le mur parce que c'est une histoire d'amour qui se termine mal. 
    Dans "Je suis à toi", c'est presque la dynamique inverse. Cela ne commence pas très bien, les personnages sont dans une sorte de noirceur et cela va vers la lumière.

    Dans votre court métrage "Vivre encore un peu...", il y avait déjà une boulangerie et Jean-Michel Balthazar jouait le boulanger.

    Effectivement.  J'ai repris l'idée de la boulangerie et l'acteur. Mais ce n'est pas du tout le même personnage, dans le court métrage, c'était un père endeuillé.  Par contre, c'est le même décor, c'est très bizarre d'ailleurs. Parce qu'il fallait un personnage autre dans un même décor. 
    Quand j'ai écrit le scénario de "Je suis à toi", j'avais déjà Jean-Michel Balthazar en tête. Il était concrètement là, je lui avais déjà parlé du film. 

    Pourquoi avoir choisi l'acteur argentin Nahuel Perez Biscayart ?

    Argentin parce que j'avais déjà été en Argentine. Parce que je trouvais que c'était intéressant économiquement et politiquement. Et puis Nahuel, je l'ai vu dans "Au fond des bois" de Benoît Jacquot. Il avait un rôle muet où il crevait l'écran. Je n'ai pas osé le contacter. J'ai commencé à faire un casting en Argentine. La directrice de casting m'a parlé de lui tout de suite. C'était la deuxième fois que ce désir-là venait donc j'ai décidé de le rencontrer. On s'est vu à Cannes, on a passé une semaine de Festival à se voir deux, trois heures par jour. A la fin du Festival, on s'est dit qu'on faisait le film. 
    Il a quelque chose de félin naturellement, il se déplace comme un chat. Comme j'ai toujours imaginé le personnage comme un chat, cela paraissait logique de le prendre. 

    Et Monia Chokri ?

    C'est bizarre parce que je passais en revue plein d'actrices françaises, je ne trouvais pas vraiment ce que je voulais. Un moment, j'ai vu une photo de Monia, sur celle-ci, elle était très sauvageonne. Très différente de ce qu'elle était dans les films de Xavier Dolan. J'ai eu un petit flash, je me suis dit qu'il y avait un truc.
    Je l'ai rencontrée à Montréal. Elle travaillait sur un spectacle écrit par une fille prostituée, un auteur qui s'était prostituée, qui s'est suicidée après et que je connaissais. Nous avions un peu les mêmes univers, nous avions réfléchi aux mêmes choses. 
    J'ai pas mal réécrit le personnage pour elle. Par exemple, au départ, le personnage était moins impertinent. Monia a quelque chose d'impertinent dans son jeu. 

    Pourquoi avoir tourné à Hermalle-sous-Argenteau ?

    Cela est venu tout naturellement. Lors du court métrage, nous avions reçu un bel accueil de la part de Pierre, le boulanger. Nous avions la liberté de faire ce que nous voulions dans l'atelier. Y compris le fait qu'il réorganisait ses journées de travail pour que nous puissions travailler. C'est d'une générosité assez incroyable. 
    A travers Pierre, j'ai appris ce qu'étaient des cramignons. C'est quelque chose d'hyper important à Hermalle. Etrangement, je trouvais que cela marchait très bien pour le film. C'est un carnaval sans masques, sans costumes. Où les gens sont à nu, sont eux-mêmes. 
    L'implication des habitants, du comité des fêtes a été très importante. Ils ont été très généreux.

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