• Entretien: Christian Desmares et Franck Ekinci - Avril et le monde truqué

    Par Michel Decoux-Derycke - Franck Ekinci est un réalisateur français tout comme Christian Desmares. Ce dernier a été directeur de l'animation sur Persepolis de Marjane Satrapi. Tous les deux viennent de réaliser leur premier long métrage: "Avril et le monde truqué".
    C'est à Bruxelles que je les ai rencontré. Entretien réalisé au patio radio de la RTBF.

    Pourquoi ce film ?

    Franck Ekinci: A l'origine, Benjamin Legrand que je connaissais, un scénariste de bande dessinée, de télévision, de film, est venu me trouver avec une idée dont il avait parlé à Jacques Tardi. Cela tenait en trois lignes: un monde bloqué à l'âge de la vapeur parce que les scientifiques disparaissent et dans ce monde, une jeune fille cherche ses parents. Il est donc venu avec ça sous le bras et il ne savait pas si il voulait en faire une série télé ou un long métrage. On est parti assez vite sur l'idée du long métrage. C'était plaisant parce que Tardi n'avait jamais été adapté en animation. Comme tout le monde en animation, j'aime beaucoup la BD et je connaissais bien Tardi.

    Tardi est un monument, n'avez-vous pas eu peur ?

    Christian Desmares: Je connaissais un peu Tardi mais pas très bien en fait. J'avais lu deux, trois albums. Franck connaissait beaucoup mieux que moi. Je ne suis pas arrivé sur le projet en fan conquis. Cela m'a plutôt servi. J'ai pris le boulot comme n'importe quel autre. Sachant que le graphisme de Tardi est très singulier et que cela allait donner une idendité forte au film.

    Est-ce Tardi qui a dessiné ?

    Franck Ekinci: Pas tout. Avant toute chose, un dessin animé est une oeuvre collective. Donc ce qu'on voit à l'écran est le travail de cent personnes. Oui, Tardi a dessiné des choses. Notamment les personnages principaux. C'est impossible de tout faire. C'est un travail de création réparti en lui, Christian et moi. Christian a travaillé sur la tardification, adapté son style. Christian en parlera mieux que moi.

    Christian Desmares: L'adaptation ? Il y a deux aspects à l'adaptation. Déjà, comment on s'approprie le dessin de Tardi, on apprend à dessiner comme Jacques. Le deuxième, c'est ce qui concerne le mouvement, propre à l'animation. Et là, c'est une vraie création. Tardi ne fait pas ça, il fait de l'image fixe.
    Pour s'approprier le dessin de Tardi, il faut l'analyser, beaucoup observer. Discuter avec lui, il faut le regarder dessiner. J'ai été très attentif au geste, au coup de crayon, à la manière dont il trace ses traits. Cela m'a permis de bien comprendre, de bien choper toutes les petites subtilités. Je n'ai pas demandé à mon équipe de dessiner comme lui mais j'ai pu corriger des dessins. C'est comme une langue étrangère, il faut apprendre le vocabulaire.
    Ensuite, il y a tout le mouvement, comment on fait bouger le personnage. Il n'y a pas de références pour Tardi. C'est vraiment de l'interprétation. Est-ce qu'on choisit une animation à la Disney, c'est-à-dire déformer, une animation élastique ou plus inspiré de l'école japonaise, assez réaliste ? C'est l'option que j'ai choisie. Il y a une sécheresse, une économie de moyens qui va bien avec la radicalité du dessin de Tardi. Je me suis pas mal inspiré du travail de Myazaki.

    Christian Desmares et Franck Ekinci

    Le film est une uchronie, comment avez-vous géré cela ?

    Franck Ekinci: L'univers est vraiment incarné. Parce qu'il y a une réflexion, parce que cela a vraiment été pensé. Sans, pour autant, qu'on explique tout. Il y a des lieux sur lesquels on a beaucoup réfléchi. C'est comme un bon film historique, on voit une époque passer, tous les meubles, les ustensiles ne sont pas expliqués mais on sent que c'est vrai. La véracité se perçoit. Et ce qui est marrant, c'est la véracité d'un monde qui n'existe pas.

    Et les voix, qui les a choisies ?

    Franck Ekinci: C'est la production, Marc Jousset et Perrine Capron. Nous étions d'accord avec leur choix. Le principe, c'était d'avoir des voix réalistes. Le film est du divertissement mais ce n'est pas Astérix, même si je n'ai rien contre Astérix. On a demandé aux acteurs de jouer de façon réaliste. D'avoir leur voix, tout simplement.

    Christian Desmares: Tous les deux, nous étions en séance d'enregistrement. Nous avons pris le parti de ne pas leur montrer des références visuelles. Les acteurs ont enregisté à l'aveugle. Pour leur laisser la liberté de s'approprier leur personnage. On ne s'est pas interdit des surprises du moment que cela restait dans le caractère du personnage.

    Franck Ekinci: En dessin animé, il y a deux méthodes. Les voix sont souvent faites à la fin. Les acteurs doublent sur une image finie. Comme les films américains doublés en français. Il y a l'autre option, celle à l'aveugle, c'est le parti que nous avons pris. Pour les acteurs, c'est bien parce qu'ils ont plus de liberté. Rien n'est figé et au contraire, c'est avec eux qu'on peut chercher des idées.

    Que diriez-vous aux lecteurs pour qu'ils aillent voir le film ?

    Franck Ekinci: On a beaucoup travaillé mais on a tout fait pour que ça ne se voie pas. C'est divertissant, pour certains, ça peut faire réfléchir. Les petits et les grands trouveront leur compte. Ceux qui aiment Tardi s'y retrouveront, ceux qui aiment l'aventure aussi. Je pense qu'on ne s'ennuye pas, c'est le principal.

    Christian Desmares: Pas mieux. Il m'a piqué mon argumentaire (rires).

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