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Entretien: Bruno de Stabenrath - TEFF 2015
Par Michel Decoux-Derycke - Bruno de Stabenrath est un écrivain, musicien et acteur français. Comme acteur, il a notamment joué dans "L'argent de poche" de François Truffaut, "L'hôtel de la plage" de Michel Lang ou "Les rois du gag" de Claude Zidi. Son roman autobiographie "Cavalcade" a été adapté au cinéma avec Titoff dans son rôle.
C'est à Namur, au TEFF, que je l'ai rencontré. Entretien avec un homme passionnant et passionné.Pourquoi êtes-vous à Namur ?
Parce que j'ai rencontré Luc (NDLA: Boland) au Festival Regards Croisés à Nîmes. Il m'a parlé de son festival que je ne connaissais pas du tout. Luc est quelqu'un de très convaincant, de très attachant et quand il m'a demandé de venir, j'ai dit oui tout de suite. Et puis j'adore la Belgique, les Belges. Namur, c'est la patrie de Benoît Poelvoorde que j'aime beaucoup aussi. C'est un oui du coeur.
Ce qui me plait, c'est que c'est un festival international. De voir le regard israélien, iranien, australien sur le handicap.Que pensez-vous de la sélection ?
J'ai été impressionné par son haut niveau. Parfois, très cinématographique. Il y a des films qui ont une force incroyable dont les acteurs sont handicapés, c'est ça qui est intéressant. Où je me suis posé la question: «est-ce que c'est un acteur qui joue le rôle ?» Moi-même, j'ai participé à des films où des comédiens jouaient des handicapés. Notamment des Infirmes Moteurs Cérébraux et c'était extraordinaire. Il y a ce mélange entre la fiction et la réalité. Puis il y a l'ensemble des documentaires et des dessins animés. Avec cette question sur la pédagogie: «comment aborder la jeunesse et la grande jeunesse avec la question du handicap ?» C'est très important.
N'oublions pas la question de la sexualité. Cela reste tabou. Elle est abordée dans plusieurs films et c'est tant mieux. Le handicap peut être rock'n'roll, c'est toujours ce que j'ai pensé.
Votre handicap est récent, votre regard est-il différent ?
Vous avez raison, j'ai passé plus de temps debout qu'en fauteuil. Mais c'est une vie depuis vingt ans, oui, vingt ans, c'est quand même une vie. J'ai vu toute l'évolution, la recherche, les lois sur l'accessibilité qui ont été votées puis pas votées puis revotées. J'ai rencontré beaucoup de gens en fauteuil, beaucoup de gens d'association. J'ai vu le travail énorme qui reste encore à accomplir. Les festivals aident à ouvrir des portes.
Le fait d'avoir un nom connu, d'avoir joué dans un film de Truffaut permet-il d'être mieux écouté ?
En fait, j'ai été connu parce que j'étais en fauteuil, parce que j'ai écrit "Cavalcade". Ce qui m'a donné ma petite notoriété, c'est le fait d'avoir écrit un roman, traduit en quinze langues et adapté au cinéma. C'est à ce moment-là que j'ai fait des gros plateaux télé. Ma notoriété, c'est grâce à mes tonneaux en voiture.
Le cinéma ne vous manque-t-il pas ?
Pas vraiment. Parce que j'avais pas mal travaillé. C'est la musique parce que j'ai quand même été musicien professionnel. J'ai été touché aux mains donc je ne peux plus me mettre derrière un piano, derrière une guitare. Cela, j'ai eu du mal à l'intégrer. Je ne m'étais pas préparé à ça. Le fait aussi de ne plus être ténor, je chante toujours mais je n'ai plus le coffre.
Là, je suis super content, je bosse sur une comédie musicale. Je suis en train d'écrire le livret avec trois autres: Arnold Turboust, Guillaume et Renaud Stirn. Cela se passe en 1965 quand la mini-jupe arrive et va créer un coup de tonnerre énorme. Ça annonce ce qui va se passer: la pilule, les mouvements féministes. Sur les trente titres, j'en écris six. Et de la bombe !
Pourquoi ne pas réaliser un film ?
Je ne l'ai pas encore fait. Ce serait surtout pour aller au bout de mes idées. C'est-à-dire quand on est écrivain ou scénariste, la scène, on la voit vraiment. Le fait de passer par un réalisateur ne correspond pas du tout à ce qu'on avait imaginé. Vous vous sentez un peu trahi.
Vous avez aussi écrit un livre sur François Truffaut, "Je n'ai pas de rôle pour vous".
C'est une phrase qu'il m'a dite quelques mois avant de mourir, dans la rue. Je n'étais pas venu lui demander un rôle, j'étais venu pour savoir si il allait bien parce qu'il y avait quelques bruits disant qu'il était malade.
Je raconte mes quinze ans, ma rencontre avec Suzanne Schiffman, Truffaut que je ne connais pas, le tournage de "L'argent de poche". Deux mois pendant l'été 1975. Un été très chaud.
En écrivant ce roman, j'ai été contacté par Jérôme Tonnerre, un grand scénariste qui a fait "Les femmes du 6ème étage", et qui a écrit un très beau livre sur Truffaut: "Le Petit Voisin". Il était son voisin et allait souvent le voir. Truffaut l'avait invité sur le tournage de "L'argent de poche". Donc, il est venu avec sa caméra 16mm, exactement les dix, quinze jours où je tournais en extérieur. Il m'a offert le DVD. On me voit avec les filles de Truffaut, on me voit parler avec lui, c'est un moment extraordinaire.
Quand il m'a dit dans la rue: «Bruno, je n'ai pas de rôle pour vous», j'y ai pensé par après, c'est à lui qu'il disait ça. Truffaut qui ne pouvait plus faire de cinéma, il n'existait plus. Il ne vivait que pour le cinéma, sa vie, c'était le cinéma.
La bibiographie de Bruno de Stabenrath:
"Cavalcade", éditions Robert Laffont, 2001
"Le Châtiment de Narcisse", Pocket, 2005
"Je n'ai pas de rôle pour vous", éditions Robert Laffont, 2011