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Entretien: Alix Delaporte et Romain Paul - Le dernier coup de marteau
Par Michel Decoux-Derycke - Alix Delaporte est une réalisatrice et scénariste française. En 2003, elle réalise son premier court métrage. Le deuxième: "Comment on freine dans une descente" est récompensé par un Lion d'or à Venise. 2011 la voit réaliser son premier long métrage: "Angèle et Tony", nommé aux César du meilleur premier film. Quant à Romain Paul, il a obtenu le Prix Marcello Mastroianni du meilleur jeune acteur à Venise pour sa première apparition au cinéma.
C'est à Bruxelles que je les ai rencontré. Entretien passionnant avec une réalisatrice et un jeune acteur promis à un bel avenir.Alix Delaporte, d'où vient l'idée du film ?
C'est une question qui arrive souvent, comme si c'était une question un peu large qu'on pose en introduction. Pour moi, c'est la pire des questions parce que je ne sais pas d'où vient l'idée. A un moment, c'est une image, une émotion qui me vient en tête. Je n'intellectualise pas les choses. J'essaie que mes films soient sensitifs, pas cérébraux. Cela part forcément d'une émotion, d'un mouvement, d'un geste entre une mère et son fils. La base de départ, c'est une mère et son fils. Cette relation que je trouve merveilleuse à explorer. Et puis, tout d'un coup, je me rends compte que, sans réfléchir, j'élargis à la famille. Au départ, tout est placé d'un point de vue d'un adolescent mais en fait, la mère et le père ont aussi des trajets. C'est un endroit d'exploration fascinant, la famille. Parce que c'est là où on se construit. La famille, c'est vraiment un endroit où j'adore aller explorer les sentiments. Parce qu'ils sont toujours exacerbés. Dans une famille, les sentiments sont toujours très forts, soit on s'adore, soit on se déteste. On pleure, on rit.
Et quand je déplace l'histoire de cette famille vers un lieu comme l'opéra, vers les répétitions de la 6ème symphonie de Mahler, je me dis que j'ai le goût d'entraîner le spectateur dans des endroits auxquels il n'a pas accès. Pousser des portes. Donc je prends un enfant qui arrive, qui pousse une porte et qui emmène d'emblée le spectateur au milieu de cent dix musiciens qui répètent une symphonie. Normalement, on n'a jamais le droit d'entrer là. En plus, le métier que je fais, c'est aussi de faire jouer les gens ensemble. Cela a quand même avoir avec ce que fait un chef d'orchestre.Le chef d'orchestre, c'est un peu une analogie avec vous ?
Oui mais je ne l'ai pas cherchée. C'est instinctif, pas intellectuel. Si je devais définir un film, c'est prendre un spectateur, le mettre dans une chaise de montagnes russes, l'attacher et l'emmener dans un voyage. Que ça monte, que ça descende, qu'il ressente des sensations. Que ça aille tellement vite et tellement fort qu'il ne réfléchisse pas. On ressent, j'aime bien cette idée.
Vous avez choisi de faire habiter la famille sur une plage, pourquoi ce lieu ?
C'est un endroit particulier. Déjà, c'est une plage avec des arbres. Si vous faites une photo et que vous la regardez, vous allez avoir l'impression que c'est une peinture. Il y a une grande beauté. Cet endroit est le dernier endroit en France et même en Europe où il n'y a pas de régulation. On peut venir s'installer et vivre sans que personne ne vous dise rien. Ce sont trente-cinq kilomètres de plage, situés à Beauduc, au bout de la Camargue. Il faut faire quarante-cinq minutes de voiture pour arriver à cet endroit. Cela raconte aussi le fait qu'on a du mal à se loger. C'est le déclassement. Dans certains campings, il y a des gens qui vivent à l'année, ce qu'on ne voyait pas il y a cinq ans, dix ans. Ce qui m'intéressait également, c'est cette forme d'utopie, d'idéalisme. Vivre en plein air, au bord de la mer, c'est quelque chose de magique. On en aurait tous envie mais on ne le fait pas.
Pourquoi avoir repris Grégory Gadebois et Clotilde Hesme qui étaient dans votre premier film: "Angèle et Tony" ?
C'est venu assez naturellement de retravailler avec eux. Parce qu'en fait, on grandit ensemble. Clotilde, j'avais aussi fait mon deuxième court métrage avec elle. C'était une évidence. De toute façon, il me fallait une femme de trente-deux ans et un chef d'orchestre de trente-cinq ans. Je ne voyais pas l'intérêt d'aller chercher d'autres acteurs.Parce que, pendant le temps de l'écriture du film, Grégory et Clotilde ont tourné avec d'autres metteurs en scène et que j'avais envie qu'ils partagent leurs expériences avec moi.
Romain, comment es-tu arrivé sur ce film ?
C'est ma tante qui a vu l'annonce du casting, elle l'a dit à mon père qui m'a suggéré d'y aller. Cela m'a un peu surpris qu'il me propose de passer ce casting parce que jamais, je ne m'étais intéressé au métier d'acteur. En fait, c'est l'idée du foot qui m'a attiré. J'y suis allé et cela a bien fonctionné. J'ai alors rencontré Alix. Elle m'a expliqué beaucoup plus sur l'histoire. Ensuite, j'ai rencontré les acteurs et là, ça a été un super moment.Je me suis battu pour être pris.
Pour toi, comment s'est passé le tournage ?
C'était dur, Alix est très sitricte. Mais quand on voit le résultat, cela valait le coup. Le plus dur, c'était d'aller chercher le sentiment. Ce n'était pas évident à trouver. Grégory et Clotilde m'ont aidé à le comprendre puisque je m'appuye sur eux pour jouer. J'ai dû apprendre à tricher comme dit Alix. Agrandir la palette, ne pas être nécessairement naturel.
Alix Delaporte, votre film était à Venise, est-ce important d'être repris dans un tel Festival ?
Faire un film, c'est une chose. Mais pour les films indépendants, il n'est pas vraiment fini si il n'est pas dans les festivals. Quand on fait un film indépendant, ce n'est pas pour aller chercher un million d'entrées. C'est pour exprimer quelque chose de fort, en toute liberté. On a besoin d'une reconnaissance et cela se situe dans les grands festivals. Au-delà du fait que Venise est un endroit que j'aime énormément, il y a une grande liberté dans le choix des films. Et le public va voir les films. C'est quelque chose de joyeux, de magique.
J'ai aussi une histoire particulière avec Venise puisque j'y étais avec mon deuxième court métrage avec lequel j'ai eu un Lion d'or. J'ai comme un lien. Enfin, la reconnaissance est importante si elle me permet de faire d'autres films.
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